Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/75

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« On tire jeudi prochain.

— Ah ! fit-il, on ne perd pas de temps… ça presse. »

Il est facile de se faire une idée de mon chagrin durant ce jour et les suivants. Je ne tenais plus en place ; sans cesse je me voyais sur le point d’abandonner le pays. Il me semblait d’avance courir dans les bois, ayant à mes trousses des gendarmes criant : « Halte ! halte ! » Puis je me représentais la désolation de Catherine, de la tante Grédel, de M. Goulden. Quelquefois je croyais marcher en rang, avec une quantité d’autres malheureux auxquels on criait : « En avant !… À la baïonnette ! » tandis que les boulets en enlevaient des files entières. J’entendais ronfler ces boulets et siffler les balles, enfin j’étais dans un état pitoyable.

« Du calme, Joseph, me disait M. Goulden ; ne te tourmente donc pas ainsi. Pense que, de toute la conscription, il n’y en a pas dix peut-être qui puissent donner d’aussi bonnes raisons que toi pour rester. Il faudrait que le chirurgien fût aveugle pour te recevoir. D’ailleurs, je verrai M. le commandant de place… Tranquillise-toi ! »

Ces bonnes paroles ne pouvaient me rassurer.