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Le brigadier Frédéric.

ont profité de ce qu’il avait six enfants pour l’acheter. »

En songeant à cela, je repris un peu de courage, reconnaissant que j’avais bien fait, malgré tout, et qu’à la place de Hepp, je me serais sans doute déjà pendu quelque part au coin d’un bois. Cela me consolait un peu. Que veux-tu ? on est toujours content d’avoir pris le meilleur parti, même lorsqu’on n’avait à choisir qu’entre les plus grandes misères.

Puis ces idées s’effacèrent aussi, d’autres vinrent à leur place.

Il faut te dire que dans tous les villages et même dans les plus petits hameaux où je passais, les pauvres gens me voyant en route, à mon âge, le paquet sur l’épaule, me recevaient bien ; ils comprenaient que j’étais de ceux qu’on chassait parce qu’ils aimaient la France ; les femmes, devant leurs portes, l’enfant sur les bras, me disaient avec attendrissement :

« Dieu vous conduise !… »

Dans les petites auberges où je faisais halte de temps en temps pour reprendre des forces, à Lutzelbourg, à Dabo, à Viche, on ne voulait rien recevoir pour ma dépense. Aussitôt que