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Le brigadier Frédéric.

milieu de mes misères, je n’accuse pas l’Éternel ; non, l’Éternel est juste, nous avons mérité de souffrir ! D’où viennent tous nos malheurs ? D’un seul homme qui avait prêté serment devant Dieu d’obéir aux lois, et qui les a mises sous ses pieds ; qui a fait tuer ceux qui les défendaient, et transporter au loin, dans les îles, des milliers de ses semblables, dont il craignait le courage et le bon sens. Eh bien, cet homme, nous l’avons approuvé, nous avons voté pour lui, non pas une fois, mais vingt fois ; nous avons pris de la sorte à notre compte ses mauvaises actions ; nous avons mis de côté la justice et l’honneur ; nous avons pensé : « L’intérêt fait tout… cet homme est malin… il a réussi… il faut le soutenir ! »

Quand je me rappelle que j’ai voté pour ce malheureux, sachant bien que ce n’était pas juste, mais dans la crainte de perdre ma place, quand je me rappelle cela, je m’écrie : « Frédéric, que Dieu te pardonne ! Tu as tout perdu, amis, parents, patrie, tout… avoue que tu l’as mérité. Tu n’as pas eu honte de soutenir l’homme qui faisait perdre les mêmes choses d’un coup à des milliers de Français aussi honnêtes que toi… Tu as voté pour la force contre