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H. POINCARÉ. — SUR LA VALEUR OBJECTIVE DE LA SCIENCE.

vention, on ne peut pas dire que cet énoncé soit vrai, au sens propre du mot, puisqu’il ne saurait être vrai malgré moi et qu’il est vrai seulement parce je veux qu’il le soit.

Quand je dis, par exemple, l’unité de longueur est le mètre, c’est un décret que je porte, ce n’est pas une constatation qui s’impose à moi. Il en est de même, comme je crois l’avoir montré ailleurs, quand il s’agit par exemple du postulatum d’Euclide.

Quand on me demande : fait-il noir ? je sais toujours si je dois répondre oui ou non.

Bien qu’une infinité de faits possibles soient susceptibles de ce même énoncé : il fait noir, je saurai toujours si le fait réalisé rentre ou ne rentre pas parmi ceux qui répondent à cet énoncé. Les faits sont classés en catégories, et si l’on me demande si le fait que je constate rentre ou ne rentre pas dans telle catégorie, je n’hésiterai pas.

Sans doute cette classification comporte assez d’arbitraire pour laisser à la liberté ou au caprice de l’homme une large part. En un mot, cette classification est une convention. Mais cette convention étant donnée, si l’on me demande : tel fait est-il vrai ? je saurai toujours que répondre et ma réponse me sera imposée par le témoignage de mes sens.

Si donc pendant une éclipse, on demande : fait-il noir ? tout le monde répondra oui. Sans doute ceux-là répondraient non qui parleraient une langue où clair se dirait noir et où noir se dirait clair. Mais quelle importance cela peut-il avoir ?

De même, en mathématiques, quand j’ai posé les définitions, et les postulats qui sont des conventions, un théorème ne peut plus être que vrai ou faux. Mais pour répondre à cette question : ce théorème est-il vrai ? ce n’est plus au témoignage de mes sens que j’aurai recours, mais bien au raisonnement.

Nous arrivons donc à la conclusion suivante.

L’énoncé d’un fait est toujours vérifiable et pour la vérification nous avons recours soit au témoignage de nos sens, soit au souvenir de ce témoignage. C’est là proprement ce qui caractérise un fait. Si vous me posez la question : tel fait est-il vrai ? je commencerai par vous demander, s’il y a lieu, de préciser les conventions, par vous demander, en d’autres termes, quelle langue vous avez parlé ; puis une fois fixé sur ce point, j’interrogerai mes sens et je répondrai, oui ou non. Mais la réponse, ce seront mes sens qui l’auront faite, ce