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H. POINCARÉ. — SUR LA VALEUR OBJECTIVE DE LA SCIENCE.

Une revue rapide des sciences nous fera mieux comprendre quelles sont ces bornes. L’attitude nominaliste n’est justifiée que quand elle est commode ; quand l’est-elle ?

L’expérience nous fait connaître des relations entre les corps ; c’est là le fait brut ; ces relations sont extrémement compliquées. Au lieu d’envisager diréctement la relation du corps et du corps , nous introduisons entre eux un intermédiaire qui est l’espace, et nous envisageons trois relations distinctes : celle du corps avec la figure de l’espace, celle du corps avec la figure de l’espace, celle des deux figures et entre elles. Pourquoi ce détour est-il avantageux ? Parce que la relation de et était compliquée, mais différait peu de celle de et qui est simple ; de sorte que cette relation compliquée peut être remplacée par la relation simple entre et et par deux autres relations qui nous font connaître que les différences entre et d’une part, entre et d’autre part sont très petites. Par exemple si et sont deux corps solides naturels qui se déplacent en se déformant légèrement, nous envisagerons deux figures invariables mobiles et . Les lois des déplacements relatifs de ces figures et seront très simples ; ce seront celles de la géométrie. Et nous ajouterons ensuite que le corps , qui diffère toujours très peu de , se dilate par l’effet de la chaleur et fléchit par l’effet de l’élasticité. Ces dilatations et ces flexions, justement parce qu’elles sont très petites, seront pour notre esprit d’une étude relativement facile. S’imagine-t-on à quelles complications de langage il aurait fallu se résigner si on avait voulu comprendre dans un même énoncé le déplacement du solide, sa dilatation et sa flexion ?

La relation entre et était une loi brute, et elle s’est décomposée ; nous avons maintenant deux lois qui expriment les relations de et , de et et un principe qui exprime celle de avec . C’est l’ensemble de ces principes que l’on appelle géométrie.

Deux remarques encore. Nous avons une relation entre deux corps et que nous avons remplacée par une relation entre deux figures et  ; mais cette même relation entre ces deux mêmes figures et aurait pu tout aussi bien remplacer avantageusement une relation entre deux autres corps et , entièrement différents de et . Et cela de bien des manières. Si l’on n’avait pas inventé les principes et la géométrie, après avoir étudié la relation de et , il faudrait recommencer ab ovo l’étude de la relation de à . C’est pour cela que le géométrie est si précieuse. Une relation géomé-