Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/108

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de terreur, je m’attachai à son cotillon en pleurant aussi sans bruit. Devant nous, un individu lisait à haute voix l’écriteau attaché au-dessus de la tête du malheureux exposé au carcan :

« Martin Ferral, dit le Croquant, de Combenègre, commune de Rouffignac, condamné à vingt ans de travaux forcés pour meurtre. »

Nous restâmes là un gros moment, cachés derrière les curieux et pleurant en silence. Par instant, lorsque les gens se remuaient, j’entrevoyais le bourreau qui avait l’air de s’ennuyer d’être là, et regardait l’heure à une grosse montre d’argent qu’il tirait du gousset de sa culotte par une courte chaîne garnie d’affiquets. En le rencontrant dans la rue sans le connaître, on n’aurait jamais dit que ce fût celui qui guillotinait, tant il avait une bonne figure. Et puis, il était bien habillé, et, selon le dicton, « brave comme un bourreau qui fait ses Pâques », avec sa grande lévite bleu de roi, tombant sur des bottes à revers, sa haute cravate de mousseline et son petit chapeau tuyau de poêle. Enfin, tant nous attendîmes qu’au clocher de Saint-Front sonnèrent les quatre heures. Alors le bourreau tira une clef de sa poche, ouvrit le cadenas du carcan de fer qui tenait mon père par le cou, et, le prenant par le bras, le mena jusqu’au bas de l’escalier de l’échafaud, et le remit aux gendarmes qui l’emmenèrent. Nous autres suivions à petite distance, le regardant s’en aller la tête haute, l’air assuré, entre les