Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/150

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saient déparler, ou délirer. Le matin, comme c’était une vaillante femme, elle voulut se lever ; mais, ayant mis la marmite sur le feu pour faire cuire des pommes de terre, elle fut obligée de se recoucher, prise de frissons avec de forts claquements de dents, et se plaignant d’un grand mal dans les côtés.

La voyant ainsi, je la couvris de tout ce que je pus trouver, de son cotillon séché, et, finalement, de ma veste, mais elle frissonnait toujours. Je pensai alors à aller quérir du secours, mais lorsque je lui en parlai, elle me dit faiblement :

— Ne me quitte pas, mon Jacquou !…

Comme on doit penser, j’étais bien inquiet. Ne sachant que faire pour apaiser la soif qui la tourmentait, je coupai en quartiers des pommes d’anis que la pauvre femme avait portées pour moi dans la poche de son tablier, et, les faisant bouillir, j’en fis une espèce de tisane que je lui donnais lorsqu’elle demandait à boire, ce qui était souvent. Quelquefois, je me disais que, si elle pouvait s’endormir, je courrais jusqu’aux Granges pour avoir du secours ; mais, quand je me bougeais le moindrement, elle ouvrait les yeux et disait :

— Tu es là, mon Jacquou ? ne me laisse pas !

Et je lui répondais, en lui prenant la main :

— Ne crains point, mère, je ne te quitterai pas.

Et elle refermait les paupières, brisée par la fièvre, et la poitrine haletante, oppressée.