Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/274

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Je ne tardai pas beaucoup à en faire l’épreuve. Un soir d’hiver, je revenais de couper de la bruyère pour faire la paillade à nos bestiaux. Le jour commençait à baisser, et, dans les bois qui bordaient le chemin que je suivais, l’ombre descendait lentement. Je cheminais sans bruit, ma pioche sur l’épaule, pensant à ma Lina, lorsque tout d’un coup presque, je viens à entendre derrière moi le pas pressé d’un cheval.

L’idée me vint aussitôt que c’était le comte de Nansac, mais je continuai de marcher sans me retourner. Je ne m’étais pas trompé ; arrivé à quelques toises de moi il me cria insolemment :

— Holà ! maraud, te rangeras-tu !

Le sang me monta à la tête comme par un coup de pompe, mais je fis semblant de n’avoir pas ouï ; seulement, lorsque je sentis sur mon cou le souffle des naseaux du cheval, je me retournai tout d’un coup, et, attrapant la bride de la main gauche, de l’autre je levai ma pioche :

— Est-ce donc que tu veux écraser le fils après avoir fait crever le père aux galères ? dis, mauvais Crozat !

De ma vie je n’ai vu un homme aussi étonné. D’habitude, les paysans se hâtaient de se garer de lui lorsqu’il passait, de crainte d’être jetés à terre ou, pour le moins, d’attraper quelque coup de fouet : aussi était-il tout abasourdi. Mais ce qui l’estomaquait le plus, c’était ce nom de Crozat, si soigneusement caché, ce nom de son grand-père le maltôtier véreux, que le fils du