Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/308

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ceux qui avaient la sottise de le croire étaient tout étonnés, en tâtant celui-ci à travers le poil épais, de trouver que ses côtes étaient comme celles de toute autre bête, et alors les autres fortes têtes s’écriaient :

— Pourtant, c’est sûr et certain, j’ai toujours ouï dire que les loups avaient les côtes en long ! Peut-être que celui-ci n’est qu’un gros chien !

Moi, ça me faisait lever les épaules de voir des gens de ville aussi imbéciles ; mais je ne leur dis rien : à quoi bon ?

Le lendemain, je portai mon loup à la Préfecture, suivi par tous les droles de la Rue-Neuve où je passai. Le portier me fit entrer dans la cour et alla chercher un monsieur. Au lieu d’un, ils vinrent plusieurs, et, comme les voisins de l’auberge, me firent force questions sur l’endroit où j’avais tué la bête, et comment je m’y étais pris ; si je n’avais pas peur d’aller ainsi au guet la nuit, et autres choses de ce genre. Le loup était étendu par terre, au milieu d’un cercle d’employés, jeunes et vieux, échappés de leurs bureaux, d’aucuns avec la plume derrière l’oreille, d’autres avec des manches de doublure par-dessus celles de leur lévite, et un qui devait être un chef, empaletoqué comme un oignon, de quatre ou cinq vêtements l’un par-dessus l’autre. L’âne, les oreilles baissées, restait là, patiemment, et moi, je faisais comme lui, quoiqu’il me tardât de m’en retourner. Enfin, lorsqu’ils eurent assez jasé, un des messieurs