Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/384

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sur leurs amoureux. Quoique d’une manière, ça ravivât ma peine de savoir, par ce que me disait la Bertrille, combien la pauvre Lina m’aimait, je me complaisais tout de même à l’entendre et je ne me lassais point de la questionner là-dessus.

D’autres fois, le cœur gros, je m’en allais au Gour, et là, couché à l’ombre des arbres, je pensais longuement à Lina. Je me remémorais nos innocentes amours dans tous leurs détails, je me ramentevais un coup d’œil, un sourire, un mot aimable. Il me semblait nous voir, nous en allant tous deux dans quelque chemin creux, infréquenté, nous tenant par la main, la tête baissée, sans rien dire, que parfois quelques paroles qui témoignaient de notre amour, et nous faisaient relever la tête pour nous regarder au plus profond des yeux.

Et quand j’avais épuisé les souvenirs heureux, je songeais au martyre que la pauvre drole avait souffert dans sa maison, et la colère me montait. Je me l’imaginais accourant aux Maurezies, pour me demander secours contre sa coquine de mère, et, désespérée en apprenant ma disparition, venir se noyer au Gour. Je voyais la place où l’on avait retrouvé ses sabots, et, dans mon chagrin, je me cachais la figure dans l’herbe et je rugissais comme une bête sauvage.

Maintenant, tout était fini ; elle était au fond de l’abîme, couchée dans quelque recoin de ces grottes aux eaux souterraines, et ce corps char-