Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/391

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dans mes bras ce beau corps de fille. Je ne m’étonnais donc pas de ça. Mais comment se faisait-il que le seul souvenir de ce moment-là pût m’émouvoir encore, moi qui n’avais jamais songé à autre femme qu’à Lina ? Tout le jour je m’efforçai de chasser cette scène de ma mémoire, en me complaisant dans la remémorance de mes chères amours défuntes ; mais j’avais beau faire, de temps en temps elle me revenait à l’esprit, tenace comme une ronce où on est empêtré.

« Que le diable emporte cette Francette de m’avoir conté telle sottise ! » pensai-je plusieurs fois.

Et de ce jour en avant, il me fut impossible de me débarrasser entièrement de la pensée troublante de cette scène, que quelque diable semblait raviver en moi à mon grand dépit.

Tandis que j’étais dans cet état d’esprit, mal content de moi-même, en raison de ce que je regardais comme une trahison envers la mémoire de mes parents et comme un affront à celle de ma pauvre Lina, le vieux Jean vint à mourir après quatre jours de maladie, et je me trouvai seul. Son neveu, qui était charbonnier comme lui, vint demeurer dans la maison avec sa femme et ses cinq droles, tout heureux de cette aubaine. Ça n’était pas un mauvais homme, mais il était si pauvre que ce petit héritage lui semblait le Pérou : aussi lui et les siens furent d’abord consolés de la mort de l’oncle Jean.