Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/447

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ma femme, c’était la toile pour faire des chemises et des draps : l’hiver elle veillait tard et filait tant qu’elle pouvait, mettant des prunes sèches dans sa bouche pour avoir de la salive. L’entretien des droles et leur nourriture, tout ça donc coûtait, sans compter que nous avions été obligés d’acheter bien des choses : un cabinet pour serrer les affaires, une maie, et un autre lit pour tous ces droles, où ils couchaient les uns en long, les autres en travers, en haut et aux pieds.

Le vieux brave curé de Fossemagne, lorsqu’on les lui présentait à baptiser les uns après les autres, à mesure qu’ils venaient au monde, disait en riant :

— Ah ! ah ! j’ai été jovent ! j’ai eu bonne main !

Et pour le prix, c’était toujours le même : rien.

Mais aussi, à l’occasion, ma femme lui portait ou envoyait un lièvre, ou une couple de palombes à la saison du passage, ou un beau panier de champignons, oronges, bolets ou cèpes, ou quelque petit cadeau comme ça, pour lui marquer notre reconnaissance.

Quoique n’étant pas riches, nous étions tous gais et contents plus que si nous avions eu cent mille francs. Je ne pensais plus qu’à ma femme, à mes enfants et à mon ouvrage. Et en songeant au travail, c’était encore penser aux miens, puisque je travaillais pour les nourrir. Je n’avais