Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/457

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quer le pain, ce qui n’a pas été sans bûcher dur : mais quoi ! nous sommes faits pour ça, je ne m’en plains pas.

On pense bien qu’avec cette troupe de droles je ne pouvais pas devenir riche : aussi, dans toute ma vie, je n’ai pas eu cinquante écus devant moi ; content tout de même, pourvu qu’au jour la journée il y eût chez nous pour acheter un sac de blé. Aussi l’héritage que je laisserai ne sera pas gros : il y aura en tout et pour tout, la maison des Âges avec trois journaux de pays autour ; l’ensemble acheté quarante pistoles, et un louis d’or pour les épingles de la dame, et payé peu à peu par pactes de cinquante francs à la Saint-Jean et à la Noël.

Je n’étais donc pas riche de bien, mais seulement riche en enfants ; et quand j’y songe, je trouve que j’ai été mieux partagé. Je préfère laisser après moi beaucoup d’enfants que beaucoup de terres ou d’argent. On me dira que, quand je serai mort, ça me fera une belle jambe : j’en conviens ! En attendant, je suis réjoui dès maintenant de voir foisonner tous ces petits et arrière-petits enfants venus de moi. Pour le coup, j’en ai tout à fait perdu le compte, ou, pour mieux dire, je ne l’ai jamais su. Et puis, il faut que je l’avoue, il y a dans cette affaire quelque chose que j’estime haut : c’est le contentement d’avoir fait mon devoir d’homme et de bon citoyen. C’est une chose à laquelle on ne pense guère maintenant, malheureusement ;