Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/108

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tenant j’en suis réduit à chasser le lièvre et à gouverner une commune de quelques centaines de paysans !

— C’est moins dangereux, dit le docteur.

— Sans doute !… mais le danger m’attirait, lorsque j’étais jeune !… À présent, les choses vont toutes seules. Je commande aux hommes, le curé catéchise les femmes et publie mes ordres au prône : nul ne bronche.

— Vous devez les mener rudement, je pense.

— Pas tant que vous diriez bien, docteur. Je suis très violent, jusqu’à tuer un homme dans la colère, comme cela m’est arrivé une ou deux fois, mais point du tout méchant ni tyran. Nos paysans ne valent pas cher, c’est vrai, mais nous ne valons pas mieux qu’eux : nous n’avons donc pas le droit d’être trop sévères. Aussi j’ai pour eux certaines condescendances. Par exemple, je permets le braconnage, — au fusil seulement, — les dimanches et jours de fête ; et, pour laisser plus de liberté à mes hommes, je ne sors pas moi-même, ces jours-là. Mais d’autre part, si j’en attrape un tendant des « setous », comme ils disent, ou des collets, je leur sale très bien les fesses avec du plomb… Par ce mélange de tolérance et d’énergie, distribuant la plus exacte justice à tous, je me fais, je ne dirai pas aimer peut-être, mais obéir et respecter. À la Saint-Louis, je défonce une barrique de vin sur la place ; ils se saoulent comme des porcs et crient : « Vive le roi et monsieur de Fersac !… » Ainsi tout marche à merveille.

Après le dîner, le châtelain coupa un gros morceau de pain au chanteau, puis dit à Daniel :

— Venez, je vais vous faire voir Manon.

C’était une grande forte jument de poil rouan, à