Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/258

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passion du vicomte : il se satisfaisait de renforcer sa haine par des motifs nouveaux, reconnaissant, à part lui, tout ce que ses prétendus griefs avaient de futile et de ridicule. Il ne s’apercevait même pas, dans son aveugle animosité, qu’il s’en forgeait d’aussi absurdes que les premiers. À tout cela, d’ailleurs, à l’instinctive antipathie que M. de Bretout avait d’abord éprouvée pour Daniel se joignait une sorte de méfiance rétrospective : il se prenait à révoquer en doute l’innocence des relations de Minna avec son cousin ; il avait des accès de rage froide, à songer que peut-être c’était l’ancien amant de sa femme qui l’avait fait mettre en interdit et se gaussait de lui maintenant. Aussi bien, gardait-il une espèce de mécontentement jaloux que sa femme eût été assistée dans ses couches par celui-là même qu’il exécrait.

Un autre dépit agitait encore le gentilhomme. Il n’avait pu voir Sylvia, lors de son incartade au Désert, sans être frappé de sa beauté. La manière digne dont elle avait relevé son impolitesse l’avait moins froissé qu’étonné. Il enviait au docteur cette belle fille dévouée, fière, et la comparait secrètement à sa femme toujours maussade, agressive et flétrie en pleine jeunesse : il faisait à Daniel un nouveau grief de son bonheur. Il n’était pas jusqu’au petit Samuel qui n’excitât en lui une sourde colère : le malheureux se disait qu’un bel enfant comme celui-là eût flatté son orgueil paternel et surtout assuré son avenir.

Tous ces divers sentiments fermentaient en M. de Bretout et fomentaient sa haine contre Daniel, haine que Minna, dans sa légèreté imprudente, exaspérait par des réflexions caustiques et des sarcasmes blessants. Il était à présumer que cette haine, à la première occasion, se traduirait par des actes.

Elle éclata, en effet, à une foire de Ribérac où le