Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/412

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et un silence relatif se fit sur cet incident extraordinaire, quelquefois troublé seulement par l’oiseux retour d’un rabâcheur à court de sujets d’entretien.

Vers ce temps-là, comme le vieux chasseur de vipères n’avait point paru aux Essarts depuis une huitaine de jours, Daniel pensa qu’il pouvait être malade et se rendit chez lui. Claret habitait au fond des bois entre de vieilles futaies, sur un terrain vague appelé « à Pierre-levée », — d’un antique dolmen contre lequel il avait bâti sa demeure. — Un des grands côtés de la masure était formé d’une muraille en pierres de grison brutes, maçonnées de terre gâchée avec de la mousse. Le devant était construit en troncs d’arbres superposés ; le toit était fait de bardeaux débités à la hache.

Quand le docteur entra, Claret, assis sur une souche équarrie, se chauffait dans un coin de l’âtre établi grossièrement. Dans l’autre coin était une petite bancelle, où le docteur s’assit en face du vieux après lui avoir demandé le portage.

Il n’était pas précisément malade, le bonhomme, ne sentant, comme il l’expliquait, de mal en aucune place particulière, mais simplement par tout le corps une faiblesse, et, ainsi qu’il disait, un grand empêchement de vivre. De ça, il ne s’étonnait point, vu son âge, car il avait déjà vingt-cinq ans lorsque M. de Belleyme l’employait comme porte-mire pour la levée de la carte de la Guyenne, et tout près de cinquante ans lorsqu’on guillotina l’ancien roi…

— Mais disait le docteur, mon pauvre ami, vous ne devez pas ainsi rester seul, loin de tout secours, à quatre-vingt-neuf ans !… Venez chez nous : vous serez bien soigné, du moins autant que nous le pourrons !