Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/427

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dans son cas ! Elle avait eu le meilleur de sa fille, les innocentes caresses de l’enfance et les premières effusions de l’adolescence : que pouvait-elle espérer de plus précieux ? Après avoir vécu pour les siens, la jeune fille allait bientôt vivre pour elle-même. À sa mère elle eût préféré un homme, un étranger qui l’aurait arrachée des bras maternels pour l’emmener au loin peut-être… Et savait-on si ce n’était pas pour Noémi elle-même un grand bonheur que d’être morte à l’âge des illusions juvéniles ? Que de fois peut-être elle eût maudit le jour de sa naissance ! Maintenant elle était à l’abri de toutes les adversités, de toutes les cruautés du sort, de toutes les douleurs physiques et morales qui harcèlent les humains. Elle était dans un séjour de paix où nulle hostilité ne pouvait plus l’atteindre, d’où nulle puissance ne la pouvait chasser !

Et Daniel faisait appel à l’énergie de cette mère désolée, la conjurait de se montrer forte contre elle-même et supérieure à toute l’injustice des événements. Si elle s’abandonnait sans mesure à son chagrin, non seulement elle se rendrait plus malheureuse, mais elle le rendrait plus malheureux aussi, lui qui aurait à porter, outre la tristesse causée par la mort de sa fille, l’affliction de son amie désespérée.

Pendant que le docteur parlait ainsi, à demi-voix, Sylvia tournait vers lui son visage de mère douloureuse sur lequel coulaient des larmes qu’elle s’efforçait en vain de réprimer. Comme il arrive d’habitude en ces occurrences, les considérations générales ne la touchaient guère. Mais lorsque, laissant cela, Daniel recourut à des arguments personnels, — invoquant leur mutuelle affection, les consolations qu’ils se devaient réciproquement, l’obscure douceur qu’ils