Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/94

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l’entendais cogner à pleine gorge. Au bout d’une heure, voici venir là-bas mon lièvre dans un sentier. Il se plantait de temps en temps, se dressait sur son cul pour écouter la chienne et repartait. En approchant du carrefour, il s’allonge pour passer le découvert, mais quand il fut à vingt pas, mon coup de fusil lui fit faire la culbute. C’était mon premier lièvre et je m’en fus bien content, il pesait six livres un quart.

Le jour d’après, lorsque j’arrivai à Puygolfier avec un plat de brochetons sous l’herbe de mon panier, la jument de M. Silain était sellée et attachée par la bride dans la cour, près de la porte du château. Lui, il était dans ce qu’il appelait son cabinet. C’était le bas d’un petit pavillon, ou plutôt d’une tour carrée qui était en retour du corps de logis, et, du côté du dehors, enfermait la petite cour intérieure que la tour ronde de l’escalier closait du côté de la grande cour.

Il appelait ça son cabinet, parce qu’il y avait des livres, des papiers, des vieux journaux ; mais au reste c’était là qu’il mettait toutes ses affaires. Ses pistolets d’arçon étaient accrochés au mur, à côté d’une épée. Les fusils de chasse étaient rangés à un râtelier ; à un clou, pendait le carnier ; à un autre, la bourse pour le furet et les grelots ; sur la table étaient les accouples de ses chiens, la corne pour les appeler, sa poire à poudre, son sac à plomb, et une ancienne tabatière de corne ronde où il mettait les capsules pour son nouveau fusil. Tous ces objets étaient bien sous la main, on voyait qu’ils servaient souvent. Quant aux livres, M. Silain n’y touchait jamais, ça se connaissait de suite, car ils étaient pleins de poussière. Au reste, c’étaient les philosophes du siècle dernier, jadis choyés par la noblesse, et aujourd’hui honnis par elle. Il y avait : Voltaire, Diderot, et Rousseau, dont l’aïeul de M. Silain avait été si engoué, qu’après