Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/106

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forces, en mourant pour eux et en tuant leurs ennemis ; mais je demande aux Dieux de pouvoir agir ainsi. J’arrive, en effet, sans compagnons, avec ma lance seule et une petite troupe d’amis qui ont survécu, et après avoir erré au loin au milieu d’innombrables peines. Nous ne pourrions donc combattre victorieusement Argos pélasgique ; mais que nous le puissions par des paroles persuasives, nous avons cette espérance. Comment vaincre de si grands obstacles avec les efforts d’un si petit nombre ? Il est insensé de le vouloir. Quand le peuple se soulève et entre en fureur, c’est comme si on voulait éteindre un feu violent ; mais si on cède, en se relâchant et en attendant le moment favorable, peut-être sa fureur s’exhalera-t-elle ; et, quand il aura apaisé son esprit, vous pourrez aisément obtenir de lui ce que vous voudrez. En effet, la pitié est en lui, autant qu’une grande colère, ce qui est très précieux pour attendre le moment favorable. Je vais tenter, pour toi, de persuader à Tyndaréôs et à la Ville de contenir leur colère. La nef qui roidit violemment les cordes de la voile est submergée, mais elle se redresse si on relâche la corde. Les Dieux haïssent les colères violentes, et les citoyens les haïssent aussi. Il me faut donc, je le dis sagement, te sauver par la prudence et non en voulant contraindre de plus puissants que nous. Je ne te sauverai point par la force des armes, comme tu le penses peut-être. Il n’est pas aisé, en effet, d’ériger, à l’aide d’une seule lance, des trophées sur les maux qui t’accablent. Jamais, certes, nous n’aurions été aussi humbles en face des Argiens ; mais, en ce moment, il est nécessaire que les sages soient les esclaves de la fortune.