Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/326

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préfèrent l’agréable à l’honnête. Les plaisirs de la vie sont nombreux : les longs entretiens, l’oisiveté, ce mal qui charme, et la honte. Celle-ci est de deux sortes : l’une qui n’est point un mal, et l’autre qui est une calamité dans les demeures. Si la raison de l’une ou de l’autre était manifeste, elles ne seraient pas nommées du même nom. Sachant donc cela dès longtemps, aucun charme ne peut m’en distraire, à ce point que j’en pense différemment. Mais je te dirai le chemin qu’a pris mon esprit. Après que l’amour m’eut blessée, je cherchai par quel moyen je pourrais le supporter le plus honnêtement. Dès lors, je commençai donc à taire et à cacher mon mal ; car il n’y a point à se fier à la langue qui sait fort bien blâmer les pensées des autres hommes, mais qui s’attire à elle-même des maux sans nombre. Et je pris la résolution de supporter courageusement cet amour insensé, et de le vaincre par la chasteté. Enfin, ne pouvant ainsi triompher de Kypris, il me sembla que le mieux était de mourir. Personne ne blâmera ce dessein. Puisse-t-il m’arriver, en effet, que mes bonnes actions ne restent point cachées, et que ma honte n’ait point de nombreux témoins. Je savais que cet amour et mon mal étaient infâmes, et je savais aussi que j’étais femme, et que la femme est odieuse à tous. Qu’elle périsse très honteusement, celle qui, la première, souilla son lit avec d’autres hommes ! C’est par les nobles familles que ce mal s’est répandu parmi les femmes. Quand les choses honteuses, en effet, plaisent à ceux qui sont bien nés, elles doivent sembler bonnes aux mauvais. Je hais aussi les femmes qui sont chastes en paroles, et montrent en secret une audace déshonnête. Comment, ô maîtresse Kypris née de la mer ! osent-elles regarder la face de leurs maris, et n’ont-elles pas horreur des