Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/36

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enfant morte, à toi, la plus heureuse en enfants et la plus malheureuse de toutes les femmes.

LE CHŒUR.

Une calamité terrible s’est ruée sur les Priamides et sur ma ville. C’est la fatalité des Dieux.

HÉKABÈ.

Ô fille, je ne sais, parmi tant de maux, lequel regarder. Dès que je songe à ma douleur, une autre me saisit, et, pour moi, les douleurs succèdent aux douleurs. Comment pourrai-je effacer ton malheur de ma pensée et n’en pas gémir ? D’autre part, ton courage qu’on m’annonce empêche l’excès de mon chagrin. N’est-il pas étrange qu’une mauvaise terre, favorisée des Dieux, produise de nombreux épis, et que, d’autre part, une bonne terre, ayant manqué de cette faveur qui lui était nécessaire, ne donne que de mauvais fruits ? Chez les hommes, au contraire, le mauvais est toujours mauvais, et le bon est toujours bon, et le malheur ne corrompt point sa nature, et il ne cesse point d’être bon. Est-ce la race, ou l’éducation, qui fait la différence ? Toutefois, certes, la bonne éducation enseigne le bien, et celui qui connaît le bien sait aussi ce qui est honteux, car il l’a appris par la règle du beau. Mais que mon esprit songe à de vaines choses ! Va, toi, et dis ceci aux Argiens : — Que nul ne touche à mon enfant, et qu’ils en écartent la foule. — Certes, dans une très nombreuse armée, la multitude est désordonnée, et la licence des marins est plus difficile à contenir que le feu, et, pour eux, qui ne fait pas le mal est le seul mauvais. Pour toi, ô ancienne esclave, prends un vase, et, l’ayant plongé