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NOTICE SUR ION.

prend pour le fruit des amours de son époux avec une rivale. Irritée contre Xuthus, qui a retrouvé les joies de la paternité sans les lui faire partager, elle s’arme contre ce fils adoptif des sentiments d’une marâtre ; elle conspire sa mort et se dispose à l’empoisonner. Prise sur le fait, elle est condamnée au dernier supplice. Mais les langes et le berceau conservés par la Pythie, qui avait sauvé l’enfant abandonné, amènent une reconnaissance entre la mère et son fils, et par suite un heureux dénoûment.

Cette tragédie a un caractère religieux et une marche solennelle qui la distinguent entre les autres ouvrages d’Euripide. Le lieu de la scène est à Delphes, et le poëte en décrit le temple tel qu’il était à son époque, avec son cortège de prêtres, de devins et de sacrificateurs, avec la pompe et les mystères augustes du culte d’Apollon, l’antre de Trophonius, le trépied sacré, la Pythie, et par-dessus tout son oracle si révéré, dont le crédit était universel dans toute la Grèce.

Une description qu’Ion fait aux femmes du Chœur des tableaux qui ornaient le portique du temple, a donné lieu à une conjecture assez vraisemblable sur la date de cette tragédie. Au rapport de Pausanias et de Diodore de Sicile (xii, 48), la troisième année de la guerre du Péloponnèse, après la victoire de Phormion sur les Lacédémoniens, les Athéniens consacrèrent à Delphes un nouveau portique. Il est probable qu’Euripide, par un anachronisme très pardonnable, et surtout très agréable à ses compatriotes, aura voulu célébrer par ses vers la consécration du nouveau monument. La représentation d’Ion serait donc postérieure, mais sans doute dans un intervalle assez peu éloigné, à la 4e année de la quatre-vingt-septième olympiade, c’est-à-dire à l’an 428 avant J.-C.

Le poëte n’a pas négligé non plus les antiques traditions qui s’offraient à lui sur les origines de la nation grecque. Ion est l’auteur de la race ionienne, comme Dorus, autre fils de Créuse et de Xuthus, est l’auteur de la race dorienne. Les quatre tribus entre lesquelles se partageait la population de l’Attique avant la création des dix tribus établies par Clisthène, sont rapportées aux quatre fils d’Ion.

Ici encore, nous retrouvons une nouvelle preuve de la supériorité de la morale publique sur la religion officielle, au siècle de Socrate. Tandis que la mythologie s’y montre telle qu’elle était trop souvent, c’est-à-dire attribuant aux dieux toutes les passions, toutes les faiblesses des mortels, la raison publique, ou plutôt celle d’Euripide,