Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 2.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
ION

temple, et instruit des choses sacrées, redoute un tel présage, et demande une coupe nouvelle : il fait cependant avec la première une libation sur la terre, en invitant les convives à l’imiter. On fait un profond silence : nous remplissons de nouveau les coupes sacrées d’une rosée pure mêlée au nectar de Biblos[1]. Au milieu de cette occupation, une troupe de colombes se précipite dans la tente ; car ces oiseaux habitent avec sécurité le temple de Loxias. Les colombes goûtent avidement le vin qu’on vient de répandre ; elles s’y plongent, leurs becs reçoivent la douce liqueur dans leur gorge emplumée. Aucune n’en éprouve un effet funeste ; mais celle qui s’était arrêtée près du fils de Xuthus à peine a trempé son bec dans la liqueur empoisonnée, qu’elle agite ses ailes tremblantes, son corps palpite, elle exhale des cris confus et plaintifs ; enfin ses membres se roidissent, ses pieds de pourpre s’allongent, elle meurt en se débattant aux yeux des convives saisis de stupeur. Alors le fils désigné par l’oracle déchire ses vêtements, il se roule sur la table, et s’écrie : « Quel mortel attente à mes jours ? réponds, vieillard : c’est toi qui as fait la tentative ; j’ai reçu la coupe de ta main. » En même temps il saisit le bras du vieillard pour le prendre sur le fait. Le vieillard résiste longtemps, mais il finit par avouer le crime de Créuse et sa traîne odieuse. Aussitôt le jeune homme marqué par l’oracle d’Apollon sort et entraîne avec lui le reste des convives ; il court devant les magistrats de Delphes, et leur dit : « Citoyens de cette terre sacrée, une étrangère, issue du sang d’Érechthée, a voulu me faire périr par le poison. » Les magistrats de Delphes la condamnent, d’une voix unanime, à être précipitée du haut d’un rocher, pour expier un attentat commis dans un lieu saint,

  1. Sur le vin de Biblos, voyez Hésiode, Œuvres et Jours.