Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 2.djvu/95

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Iphigénie.

Ô mon triste cœur, jadis tu étais doux et compatissant pour les étrangers, accordant des larmes à tes compatriotes, lorsque des Grecs tombaient entre tes mains. Mais aujourd’hui le songe qui a aigri mon cœur, en me persuadant qu’Oreste ne voit plus le jour, me laisse malveillante pour vous, qui que vous soyez ; et c’est avec justice. Mon cœur est ulcéré, chères amies : le bonheur d’autrui blesse les malheureux, quand ils ont eux-mêmes connu la prospérité. Mais jamais les vents et les vaisseaux conduits par Jupiter n’amèneront-ils en ces lieux Hélène, auteur de mes maux, ni Ménélas, pour les livrer à ma vengeance et leur trouver ici une autre Aulide, où les Grecs m’ont immolée comme une faible génisse ? Et mon père était le sacrificateur. Hélas ! (je ne puis oublier ces horreurs)combien de fois ai-je porté les mains au visage de mon père, attachée à ses genoux, que je tenais embrassés ! « Ô mon père, lui disais-je, à quel triste hymen tu me condamnes ! Ma mère, à l’instant même où tu m’immoles, et les femmes d’Argos célèbrent cet hymen par leurs chants ; tout le palais retentit du son des flûtes, et cependant je péris par tes mains ! Cet Achille que tu m’avais promis pour époux, c’était donc Pluton, et non le fils de Pélée ? Et c’est par artifice que tu m’as conduite sur un char de triomphe à ce sanglant hymen ! » Contente de mes regards à travers mes voiles légers, je pris entre mes bras ce frère qui aujourd’hui n’est plus. Malgré le titre de sœur, je n’approchai point mes lèvres