Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/126

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— Une croyante ! s’écria Cristin. Elle en a du culot, cette pourriture ! Dommage qu’elle ne soit pas tombée sur moi avec sa demande ! Je lui en aurais donné, moi, des croyantes !


À ce moment, Vassili parut. Un homme dans la trentaine, petit, blafard, nerveux, très musclé, les yeux d’une mobilité de singe. La grosse femme lui sauta dessus :

— Voilà le cher adventiste, qui fera l’affaire de Mme Stoenesco ! Il a dans sa manche des cuisinières croyantes, qui ne volent pas et qui ne disent que la vérité.

— Qu’est-ce qui te prend ? répliqua Vassili, d’une voix aigrelette, s’arrêtant, sincèrement étonné, au milieu du « Bureau » et donnant un coup d’œil à la ronde.

On le mit au courant de la question. Il écouta tout le monde, vivement intrigué, approuvant tout le temps.

— Eh bien, conclut-il, je ne trouve là rien d’extraordinaire. On vole, mais on n’aime pas être volé. La terre est pleine de dames Stoenesco qui ne vivent que de l’injustice.

Le vieux coupeur de bois demanda, excité :

— Et vous trouvez qu’il faut servir de telles dames ?

— Certes, non : on ne doit servir que Dieu !

— Ça c’est autre chose. Mais « en attendant la justice de Dieu, ce sont les saints qui vous dévorent » ! dit le proverbe. C’est ce qui m’est arrivé, à moi, avec cette dame.

Il répéta son histoire pour Vassili, qui l’écouta jusqu’à la fin, puis, à la stupéfaction générale bondit sur le pauvre vieux :

— Et qui me dit que tu es meilleur que cette riche ? Tu as été volé. Mais ne voles-tu pas à ton tour quand tu peux ? Es-tu plus juste avec ton frère ? En as-tu plus de cœur ? Car saint Mathieu nous dit : le royaume de Dieu est comme un empereur, qui appelle un de ses serviteurs et lui réclame les dix mille talents qu’il devait à son maître. Mais le serviteur ne peut pas payer cette dette. Alors le maître veut vendre l’homme et sa femme et ses enfants et tous ses biens. Et le serviteur tombe à genoux et demande un sursis que l’empereur lui accorde promptement. Mais, sortant de chez son maître, le serviteur rencontre un misérable qui lui