Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/132

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— Donne chéri, donne fort !

Interdit, Adrien regarda Léonard qui, au même moment, levait le bras et frappait à la fenêtre :

— Doucement, Cristin, nom de Dieu !

Adrien fut certain que Mikhaïl allait se réveiller, apprendre la vérité et provoquer un scandale, mais le malheureux prétendant n’en avait cure. Par bonheur, après l’alerte, le tapage des deux insensés diminua, lentement, et tout rentra dans le calme.

Tout, sauf quelque chose de bien étrange, qu’Adrien remarqua du côté de Nitza, qui couchait sur un banc placé dans son voisinage immédiat. Tourné face au mur, Nitza faisait des mouvements qui attirèrent l’attention du peintre. Celui-ci ne se doutait de rien, mais, intrigué de la régularité des gestes que trahissait le manteau dont Nitza était couvert, il se leva sur un coude, fouilla du regard le clair-obscur de la pièce et comprit. C’est-à-dire qu’il se souvint qu’un jour Mikhaïl, s’emportant contre le sans-gêne de Cristin, lui avait dit :

— Le plus triste, c’est que, pendant que Cristin fait l’amour avec une femme, Nitza le fait tout seul, le pauvre ! Il guette ces moments-là et n’en rate pas un coup.

Adrien, levé sur son séant, voulut se rendre compte si Macovei et Léonard savaient ce qui se passait. Le premier ne bougeait pas. Il couchait sur le banc situé dans le coin le plus noir du « Bureau ». On n’aurait pas su dire s’il dormait ou non. Mais sûrement le second, mauvais dormeur, n’ignorait rien. Pourtant, malgré la lumière suffisante et quoiqu’ils fussent tout près l’un de l’autre, Adrien ne sut rien lire sur la face placide de Léonard, pas même quand Nitza poussa, à la fin, un miaulement assez fort pour être entendu. Ce petit cri glaça le cœur d’Adrien.

« C’est là son plaisir ! » pensa-t-il en se recouchant.

Ce n’est pas qu’Adrien fût d’une innocence totale dans la pratique de ces plaisirs-là. Entre sa quatorzième et sa seizième année, des gamins du même âge, mais plus experts en la matière, l’y avaient initié. Il avait connu alors une époque où la brève joie quotidienne que lui procurait le vice alternait avec les longues heures de regret. Car il avait remar-