Page:Europe (revue mensuelle), n° 124, 04-1933.djvu/87

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C’est gênant de correspondre par l’intermédiaire des autres. Je prie Iléana d’écrire plus lisiblement et de ne mettre que tes paroles, rien de plus. Et je la remercie.

« Toi, je te serre dans mes bras et je baise tes pauvres mains brûlées par les lessives. Ton fils.

« Adrien,
qui a aujourd’hui vingt ans
et qui mangera à sa faim,
grâce à ta bonté. »


Destinée d’homme généreux ! Rien de plus cruel !

Il est permis à la fripouille humaine de commettre toutes les imprudences, toutes les folies : rien ne lui arrivera. Elle se tirera toujours d’affaire. Elle ne connaîtra jamais les affres de la misère. Tandis que l’homme au cœur immense, la moindre légèreté qu’il se permette le conduit à des malheurs sans fin.

Les tristesses de son existence de vagabond, Adrien les cachait toujours à sa mère. La sachant suffisamment malheureuse, il ne voulait pas la tourmenter encore plus en lui dévoilant son véritable état, ainsi qu’elle le lui demandait dans toutes ses lettres griffonnées par Iléana, une jeune femme presque ignare de son voisinage.

« Tu me dis dit ta maire que tu travail mais je ne te croit pas dit mama Zoitza mon cœur me le dit tout les soirs mon œil goche frappe fort et même je me suis fais tiré les cartes par la Baba linca et je sait que tu souffre tu n’a pas du travaille… cest vrai jai été moi Aussi voir les cartes… »

Pour qu’il écrive cette fois à sa mère une lettre aussi navrante, il a fallu que sa misère soit des plus noires. Et encore ne lui disait-il pas toute la vérité. Ce n’était pas « depuis une semaine », mais bien depuis un mois qu’il se nourrissait rien que de pain sec, pour ne point parler des jours où Mikhaïl et lui n’avalaient que de l’eau.

Tous leurs beaux vêtements étaient vendus — dix francs le complet — et l’argent mangé. Les meilleures chemises mêmes furent livrées au marchand juif, une à une, pour un franc pièce. Ce fut une dégringolade qui en moins d’une quinzaine de jours leur fit toucher le fond de l’abîme. Mikhaïl disait :