une vraie beauté orientale qui, nullement troublée, quitta le divan et vint à eux les mains tendues :
— Pas besoin de vous présenter, messieurs ! Nous vous attendons. Prenez place. Notre amie est allée chercher du caviar et de bons vins. Elle ne va pas tarder à rentrer.
Adrien et Mikhaïl se regardèrent, muets, confondus, stupides. Qu’est-ce que cette femme, cette « odalisque », qui fait les honneurs de la maison, comme si elle était chez elle ? Ils ne purent, les premiers moments, qu’allumer des cigarettes et contempler le tapis comme des écoliers.
La fausse maîtresse appela la servante :
— Apporte la tsouica et des olives.
Heureusement ! Ils se jetèrent sur la salutaire eau-de-vie et en avalèrent chacun trois petits verres de suite. La jeune femme n’en prit qu’un. Très à son aise sur son divan, elle faisait semblant de feuilleter un catalogue de modes, mais les deux amis remarquèrent qu’elle retenait dans son ventre un rire fou. Adrien prit courage :
— Tout de même, Madame, vous devriez nous dire à qui nous avons l’honneur de… de… parler quoique nous soyons muets comme deux carpes ! C’est votre faute !
Elle éclata enfin et rit tout son saoul, puis s’approchant d’Adrien :
— Sacré ami oublieux ! Je ne te rappelle personne ?
Adrien resta coi, supportant avec peine les yeux noirs dont l’inconnue le fixait par-dessous ses cils et sourcils tout aussi noirs.
— Personne ! bredouilla-t-il.
— Pas même une certaine amie qui venait parfois rendre visite à Loutchia, rue Grivitza, à Braïla.
Adrien secoua la tête.
— Diable ! s’exclama-t-elle. Tu n’étais cependant pas si petit ! Tu avais peut-être huit ou neuf ans. Eh bien alors, je dois me présenter. Ce qui est malheureux, car je n’aime pas le nom de mon mari : Polixéni… Topolog !
— Ah, Polixéni ! s’écria Adrien. Que je suis bête ! En effet, je me souviens maintenant. Mais, reconnais que tu étais, en ce temps-là, un affreux laideron…
— …Tandis qu’à présent ? fit-elle orgueilleuse.