Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/79

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raisons. La place me manque pour développer les miennes. Je m’interroge encore…

J’entends le bruit léger des vagues. C’est une belle journée, avec un ciel immobile et lumineux, un soleil ardent comme aux heures les plus chaudes de l’année. Le dessin sinueux de la côte est celui que découvrirent des navigateurs grecs et romains, que contemplent depuis des siècles les habitants de l’île. Cette nature semble immortelle, simple, bonne malgré ses tempêtes, et je me plais à songer que l’homme ne peut la troubler. Hélas, mes rêves ne durent qu’un moment. Hier, j’ai lu ces journaux espagnols qu’apporte le courrier ; on y parle de manœuvres aériennes au-dessus de Paris ; et, ailleurs, manœuvres terrestres, navales… Non ! je n’ai pas exagéré mon angoisse, je ne me reproche pas d’avoir crié ma colère. Ici, parfois, des gens qui pensaient connaître toujours la paix me questionnent ; en cas de conflit entre la France et l’Italie, ne verront-ils pas, un jour, paraître devant leur ville des croiseurs, des avions ? Ah ! les incursions des corsaires barbaresques dont eurent à souffrir leurs ancêtres n’étaient que jeux d’enfants. Je n’essaie pas de rendre plus pressantes leurs inquiétudes ; mais ne les rassure pas, car je sais impossible la paix, tant que les peuples ne pourront décider véritablement de leur sort. À leur tour, les habitants de cette île ressentent nos tourments. Ce n’est pas le moindre crime de tous les puissants de ce monde d’avoir enlevé la paix du cœur des hommes, d’avoir rendu encore plus précaire, insaisissable, le bonheur.

10 septembre 1934.

eugène dabit.