Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’abondance. C’est pourquoi je te livre au bon plaisir de deux titans, le Sereth et le Danube, afin que les flots de l’un, de l’autre ou des deux ensemble te foudroient juste au moment où, ne redoutant plus la sécheresse, tu commences à trop engraisser. Ainsi tu te souviendras de moi par la force que j’aime le plus : le Désir. »

Le Désir, pour les « gens de l’Embouchure », est un besoin constant de croire au meilleur, en dépit de l’incertitude dont les comble la fosse marécageuse où ils vivent. Ils éprouvent de la joie à se rendre compte que leur sol est volé au Sereth. Printemps et automne, l’oreille tendue vers la rivière qui mugit, on les dirait heureux à voir la volupté qu’ils mettent à se demander si les flots ne dévaleront pas d’un moment à l’autre sur leurs pauvres chaumières. C’est comme si cela ne leur faisait rien.

Sachant de père en fils que leur glèbe est bénie par le ciel, que « ça donne bien quand ça donne », ils ensemencent le plus possible, poussant la charrue jusqu’à la barbe du Sereth, mais c’est pour lui abandonner plus de la moitié de leur récolte. À moins qu’ils ne la lui abandonnent toute et leurs foyers avec, pour prendre la poudre d’escampette et aller construire des cabanes sur les plateaux.

Il en est de même de leur bétail et leur basse-cour. On élève à tour de bras, parce que, disent-ils, « la prairie et l’eau sont là, on n’a qu’à s’en servir. » Cela est vrai. Seulement, une bonne moitié de cet élevage, c’est encore pour faire la part du feu, car, à une portée de fusil de leurs ménages s’étendent des milliers d’hectares de marais qui abritent le voleur, le loup, le renard, l’épervier, lesquels en usent comme de leur propre bien.

C’est égal : « L’Homme est fait pour les tourments », dit le paysan de l’Embouchure. À ses yeux,