Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/116

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région, que la structure oligarchique du pays tenait dans un semi-esclavage. Ils n’admettaient pas que leur pauvreté fût marquée d’une « honte ».

— Je veux en finir avec cette honte ! répétait, sourdement, Alexe Vadinoï, père de Minnka et de Zamfir, en s’adressant à sa sœur Catherine. Elle l’écoutait depuis une demi-heure et se taisait comme un mur.

Son silence était explicable.

Catherine, de trente ans plus jeune que son frère Alexe, avait elle-même commis une « honte », bien plus « grave » que celle de Minnka. Ayant quitté le village, à l’aube de l’adolescence, elle était allée à Bucarest, était devenue couturière, puis, à ses vingt-neuf ans, mère d’un enfant « illégitime », qu’elle adorait. Si, malgré cet enfant, et ses vingt-neuf ans, elle faisait autorité dans la famille, c’est à la fermeté de son caractère, à son indépendance qu’elle le devait. Quand même, Catherine comprenait mal l’appel que père Alexe faisait à son jugement.

Il comprit son embarras et tâcha de trouver une excuse :

— Oui, Catherine, je le sais : tu as « fauté » aussi, mais pas chez nous ! Là-bas, dans les grandes villes, tu as fait de ta vie ce qu’il t’a plu. Ici, personne ne s’est occupé de ton existence, personne n’a rien su. Tu n’existes plus pour notre Embouchure.

La jeune femme se dressa, forte et calme :

— Donc, ce que tu appelles une « honte n’en est une que parce que l’Embouchure en a eu connaissance ? Est-ce pour me faire entendre ces niaiseries villageoises que tu m’as fait venir de Braïla ? — Allons, néné Alexe… Laisse Minnka vivre avec l’élu de son cœur, et même être aimable avec le boyard si cela lui plaît. À Bucarest ou ici, nous sommes ce que nous sommes.