Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/121

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Et quand il nous arrive de ramasser, pour une chose ou pour une autre, une pièce de cent sous, on ne sait pas s’il faut l’employer à se nipper, un peu, à faire réparer la voiture, à acheter des outils ou plutôt, à payer des dettes, ou les impôts, ou la mettre de côté afin de pouvoir s’acheter un jour une vache, un cheval, ou un porc.

« Aussi, devant ces douze francs pour le premis, les nôtres croisèrent les bras et regardèrent le ciel. Le village devint une foire : tous les paysans s’y tenaient en tas, parlaient et juraient. On n’en revenait pas : « son jonc ; sa massette ! mais, bon Dieu, a-t-il labouré les marais ? Les a-t-il semés ? Comment, peut-il dire, que c’est son jonc, sa massette ? »

« Au bout de trois jours, un brave homme de la « cour » vint en cachette nous apprendre que nos bêtes crevaient de faim et de soif.

— Qu’elles crèvent, répondirent les nôtres, nous crèverons aussi !

Cette nouvelle de nos bêtes qui n’étaient ni nourries ni abreuvées, fendit le cœur de Tsatsa Minnka. Elle s’isola et pleura comme si quelqu’un de nous venait de mourir. Le quatrième jour, sans rien dire à personne, elle s’habilla comme pour la fête et partit à la « cour », d’où elle rentra le soir même, amenant la file des vingt-sept voitures séquestrées.

« Comment avait-elle fait ? On ne l’a jamais su. Cela s’est passé il y a deux ans.

« Bien qu’heureux de l’avoir échappé belle, cette fois-là, les paysans n’en ont pas moins jacassé depuis, sur le compte de Tsatsika, les femmes surtout et les gars. Une commère lui à même dit un jour :

— Tu sais, Minnka : tu es trop belle pour aller couper du jonc ! Si tu voulais rester près du boyard, nous n’aurions plus besoin de premis, ni crainte du Turc, et nous couperions ta part de jonc.