Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/223

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selon vous, n’est qu’un beau nom : il n’y en a aucune de fixe. Ce que vous approuvez à Athènes, vous le condamnez à Lacédémone. Dans la Grèce, vous êtes Grec ; en Asie, vous êtes Perse : ni dieux, ni lois, ni patrie ne vous retiennent. Vous ne suivez qu’une seule règle, qui est la passion de plaire, d’éblouir, de dominer, de vivre dans les délices et de brouiller tous les États. Ô ciel ! faut-il qu’on souffre sur la terre un tel homme et que les autres hommes n’aient point de honte de l’admirer ! Alcibiade est aimé des hommes, lui qui se joue d’eux et qui les précipite par ses crimes dans tant de malheurs ! Pour moi, je hais Alcibiade et tous les sots qui l’aiment ; et je serais bien fâché d’être aimé par eux, puisqu’ils ne savent aimer que le mal.

Alcibiade. — Voilà une déclaration bien obligeante ! je ne vous en sais néanmoins aucun mauvais gré. Vous me mettez à la tête de tout le genre humain et me faites beaucoup d’honneur. Mon parti est plus fort que le vôtre ; mais vous avez bon courage et ne craignez pas d’être seul contre tous.

Timon. — J’aurais horreur de n’être pas seul, quand je vois la bassesse, la lâcheté, la légèreté, la corruption et la noirceur de tous les hommes qui couvrent la terre.

Alcibiade. — N’en exceptez-vous aucun ?

Timon. — Non, non, en vérité ; non, aucun, et vous moins qu’aucun autre.

Alcibiade. — Quoi ! pas vous-même ? vous haïssez-vous aussi ?

Timon. — Oui, je me hais souvent, quand je me surprends dans quelque faiblesse.