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JEAN DE BRÉBEUF

et que je sais pure comme la vierge, elle te consolera !

Jean Huron avait déjà perdu son air sombre et farouche. Il se leva vivement, courut au missionnaire, mit un genou à terre, se prosterna et murmura :

— Père, vous m’avez fait du bien, merci ! Il se releva et s’enfuit.

Le missionnaire aperçut alors Gaspard Remulot qui, dans un pan d’ombre, était demeuré spectateur muet de cette scène.

— Gaspard, dit-il, que penses-tu de ce pauvre enfant ? N’est-ce pas qu’il fait pitié ?

— Ce que je pense d’abord, mon Père, répondit rudement l’ancien pêcheur, je pense que vous auriez dû laisser étrangler ce sacripant d’indien d’iroquois maudit ! Je pense…

— Là ! là ! mon ami, sourit Jean de Brébeuf, tu perds le contrôle !

— Eh ! vertubleu ! qui ne le perdrait pas à la fin ! grommela Gaspard en esquissant un geste d’impatience.

— Regarde-moi ! Est-ce que je le perds ?

— Par mon âme ! il serait bon que vous le perdiez de temps en temps. Pour une fois vous auriez bien dû le perdre ce soir ! Il va arriver que vous finirez par vous faire casser la tête, et moi avec !

— Mon ami, si Dieu le juge utile et nécessaire, nous nous soumettrons à sa volonté sainte. Et rappelle-toi ces paroles : — « Seigneur, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons… » Et sache, Gaspard, que si tu ne pardonnes pas ou ne veux pas pardonner, chaque fois qu’en ton Pater tu prononces ces paroles, oui, sache que tu mens au Seigneur et que tu l’outrages !

— Par ma foi ! mon Père, allez-vous me dire que le bon Dieu ne nous permet pas de défendre notre peau ?

— Dans un juste combat, oui.

— Alors, n’est-ce pas juste de ce qu’il y a de plus juste de se débarrasser d’une bête qui va mordre si on ne l’abat ?

— Tut ! tut ! tut ! mon pauvre Gaspard, sourit le missionnaire. C’est bien, allons manger un peu, car je commence à sentir la faim.

— Vous avez oublié de prendre votre repas ce midi, je crois bien.

— En ce cas, je me rattraperai ce soir, allons !

— La table est servie depuis longtemps, mon Père, venez.

Mais tout en précédant le missionnaire vers la cuisine où était servi un frugal repas, Gaspard grommelait entre haut et bas :

— Tout de même, si jamais je tiens cet iroquois maudit au bout de mon fusil, il n’en reviendra pas !

Jean de Brébeuf entendit ces paroles. Il sourit et demanda :

— Et ton Pater, Gaspard, qu’en feras-tu ?

— Mon Pater ?… bredouilla l’ancien marin. Au fait, ajouta-t-il avec rudesse, quand j’arriverai aux mots « Seigneur, pardonnez-nous… » je sauterai par-dessus, et voilà tout !

Jean de Brébeuf ne put s’empêcher de rire de bon cœur en s’attablant devant un poisson, une demi-carcasse de perdrix et une galette de maïs.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Une demi-heure s’était passée.

Il pouvait être environ onze heures de nuit.

Jean de Brébeuf s’était assis à sa table de travail, et, à la clarté papillotante de sa bougie il inscrivait des notes sur une feuille de papier : il préparait son prône pour le lendemain. Il avait choisi pour sujet ces miséricordieuses paroles du Pater, que tant de chrétiens jettent au Seigneur du bout des lèvres sans songer qu’ils s’engagent à une promesse qu’ils ne tiendront pas, sans penser non plus qu’ils mentent à leur Père Céleste :

« Dimitte nobis débita nostra, sieut et nos dimittimus debitoribus nostris ! »

Sa méditation fut soudain troublée par un long et profond soupir sorti d’une poitrine étrangère qui sembla tout près de lui. Il leva la tête et vit dans l’ombre, agenouillée et lui tournant le dos, une silhouette humaine. Il la vit ses mains jointes levées vers le crucifix de plâtre. Il crut reconnaître, non sans surprise, cette silhouette humaine.

Il se leva et s’approcha doucement.

Oui, c’était Marie…

Il ne voulut pas la déranger de suite. Il la considéra un moment. La jeune fille venait de se prosterner, elle penchait son front jusqu’au sol. Jean de Brébeuf crut