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L’ÉCHAFAUD SANGLANT

— Je savais tout cela, et j’étais du même avis et j’avais les mêmes soupçons.

L’huissier demeura un moment ahuri.

— Comment, diable, le vieux sorcier peut-il savoir tout cela ? se demanda-t-il.

Maître Jean parut le comprendre et il ajouta le plus candidement du monde :

— Je sais bien d’autres choses, mon ami, bien d’autres choses qui se passent, se disent et se font entre les murs de ce Château et que toi tu ne sais pas… et que Son Excellence elle-même ne sait point !

— En ce cas, reprit l’huissier de plus en plus surpris, vous comprenez pourquoi c’est si difficile d’entrer… Autre chose, Maître Jean, reconnaissez que vous n’êtes pas bien catholique, et que…

— Je sais, je sais, interrompit Maître Jean, et je ne m’en cache pas. Oui bien, je suis calviniste, je le reconnais, et je reconnais encore que je ne pense point en matières religieuses comme Son Excellence et comme Monseigneur l’Évêque.

— Alors, vous voyez bien…

— Mais bah ! mon ami, qui saura au juste que je suis allé dire deux mots au capitaine, et deux mots, observe bien, qui sont de la part de sa femme ?

— Ah ! ah ! de la part de sa femme… fit l’huissier devenu perplexe. Pourtant, si j’allais porter ces mots pour vous…

— Non ! non ! c’est très personnel. Voyons ! je suis pressé et le temps passe vite. Te décides-tu ?

— Eh bien ! tant pis, Maître Jean, je prends le risque. Mais vous serez muet sur cette affaire ?

— Comme un trépassé, tu as ma parole !

— Alors, venez et laissez-moi faire !

Et, suivi de près par l’ancien boulanger, l’huissier pénétra dans le vestibule en annonçant à ses camarades et aux gardes présents :

— Maître Jean désire entretenir d’affaires urgentes Monsieur le Comte… Venez, Maître Jean, je pense que Son Excellence est en ce moment dans la grande salle des audiences en compagnie de Monsieur le Lieutenant des gardes et Monsieur le procureur-royal…

Le visiteur et son guide franchirent le vestibule dans sa longueur. Huissiers et gardes les regardaient aller avec indifférence, lorsque survint le portier qui avait laissé Maître Jean pénétrer dans la cour du Château. À l’un des huissiers il dit assez haut pour être entendu des autres :

— Hein ! avez-vous vu ?… Ce que Maître Jean en a des écus d’or ! Tenez ! ça brille comme ça au soleil !…

Et il exécutait en même temps un geste expressif, tout comme si un rayon de soleil l’eût ébloui, et il papillotait des paupières d’une façon non moins expressive.

Huissiers et gardes le considéraient avec quelque incrédulité.

Le portier ajouta :

— Ah ! ce que je voudrais, moi aussi, être huissier pour emplir mes poches de pièces d’or !

Les huissiers, pas plus que les gardes, n’y comprenaient goutte et ils commençaient à penser que le pauvre portier portait une cervelle trop éblouie, car nul d’entre eux n’avait entendu le colloque échangé entre leur chef et Maître Jean, et nul n’avait surpris le manège des deux hommes. Mais le portier, lui, avait vu…

C’est pourquoi il raconta vivement comment certaines pièces d’or avaient passé subrepticement du gousset de Maître Jean dans la poche de l’huissier.

La surprise était à son comble.

Maitre Jean venait de disparaître dans un corridor pratiqué sur la gauche du vestibule.

Alors, l’un des gardes se pencha à l’oreille d’un compagnon et murmura :

— Bon ! je vais faire pincer cet animal d’huissier qui m’a rapporté l’autre jour pour un rien… Attends ! tu vas rire… Je cours chez notre lieutenant.

Et, en effet, il marcha précipitamment jusqu’au grand escalier au fond du vestibule et grimpa à quatre aux étages supérieure.

Cependant, l’huissier et Maître Jean avaient traversé un long corridor pour aboutir à un escalier plutôt sombre. Là, l’huissier s’arrêta et dit :

— Maître Jean, je n’irai pas plus loin. Je me suis déjà trop risqué. D’ailleurs, d’ici vous pourrez trouver vous-même le chemin qui conduit au capitaine Flandrin. Descendez cet escalier, suivez le corridor en bas jusqu’au bout opposé. Là, à gauche, est une salle d’armes. Traversez cette salle jusqu’à une porte ordinaire que vous ouvrirez sans peine. Vous franchirez un étroit passage et vous verrez une porte de fer. Frappez à cette porte, et c’est le capitaine Flandrin qui vous ouvrira !

Et, sans plus, l’huissier se hâta de regagner le vestibule, non sans jeter autour de lui des regards scrutateurs comme pour s’assurer que personne ne l’épiait.

Maître Jean ne perdit pas de temps. Il suivit les indications de l’huissier et put atteindre le corridor sans encombres. Là, silence glacial partout. Maître Jean suivit le corridor. À gauche et à droite il put voir des portes closes, portes de chêne lamées de fer et cadenassées.

— Des salles basses encore… se dit Maître Jean non sans un frisson de malaise, où, peut-être, vivent des malheureux depuis des années !

Quoique Maître Jean fût l’ami du maître-geôlier de ces lieux, il ne connaissait rien des secrets ou des mystères qui pouvaient s’y rapporter ; Pinchot était d’une discrétion à faire l’admiration d’un confesseur.

Maître Jean se trouva bientôt à l’autre bout du corridor et vit, grande ouverte, la porte de la salle d’armes. Les murs de cette salle étaient garnis de mousquets, de pistolets, d’épées, de rapières et autres armes de guerre. Cette salle était spacieuse et suffisamment éclairée par des soupiraux. Maître Jean la traversa dans sa longueur et atteignit une porte qu’il ouvrit sans difficulté. Là, ainsi que le lui avait dit l’huissier, le vieillard vit un étroit passage très obscur, car l’unique clarté lui venait de la salle d’armes lorsque la porte était ouverte. De l’autre côté du passage Maître Jean put découvrir la porte de fer derrière laquelle étaient censés être les cachots destinés aux criminels dangereux et