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Page:Féron - L'aveugle de Saint-Eustache, 1924.djvu/29

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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

— Voyons ! sourit le jeune homme avec indifférence.

— Abandonnez une mauvaise et dangereuse politique !

— Est-ce tout ?

— Non. Prenez garde, ensuite, de vous attirer la haine de ceux qui vous aiment !

— Est-ce une menace ? demanda Guillemain en se redressant très fier.

— Non, vous dis-je ; c’est le meilleur conseil qui vous puisse venir d’une amie. Vous verrez…

Et sans attendre la réplique du jeune homme, elle enleva son cheval et partit à toute vitesse.

En arrivant chez elle Olive fut informée par son père que le docteur Chénier allait se rendre bientôt à l’auberge du père Moulin où il serait facile de faire son arrestation.

Immédiatement la jeune fille ordonna à son frère de se rendre chez Thomas et de donner aux trois cavaliers inconnus le mot d’ordre.

— Bon, après Chénier, ce sera l’autre… Louisette !


IX

JACKSON TIENT PAROLE À OLIVE


— Nous savons comment les trois cavaliers et les quatre officiers du gouvernement avaient manqué leur mission. En hâte ils s’étaient rendus chez le commerçant, lui raconter une histoire de « cent rebelles qui les avaient attaqués » et les avaient mis dans le désordre où le sieur Bourgeois les voyait revenir de l’auberge. Non… ils n’avaient pas été stupides à ce point de décrire la bonne fessée qu’ils avaient reçue de nos amis.

Mais tout cela importait peu à Olive. La jeune fille avait sa haine et sa vengeance à satisfaire. Aussi, attira-t-elle de suite les trois cavaliers à l’écart pour leur dire, bas à l’oreille :

— Maintenant, voyez à l’autre affaire, et tâchez de ne pas rater celle-là !

Les trois hommes remontèrent à cheval aussitôt pour se diriger vers la maison de forge.

 

Chez le père Marin, un peu après le repas du midi de ce même jour, on discutait les graves événements qui se préparaient. On venait d’apprendre que les Patriotes avaient, à Saint-Denis, remporté une éclatante victoire sur les troupes anglaises. Mais la rumeur circulait que le gouvernement allait prendre des mesures draconiennes pour arrêter l’insurrection, que les troupes en opération allaient être doublées, et que ces troupes allaient, sous les ordres de Sir John Colborne, marcher contre Saint-Eustache et Saint-Benoît. L’aveugle et ses fils étaient loin d’être rassurés. Et Albert Guillemain, qui venait d’arriver, apportait des nouvelles peu encourageantes.

— Et savez-vous, demanda-t-il, ce que je redoute le plus à cette heure ?

— Quoi donc ? interrogea Octave.

— Je crains qu’on arrête le docteur Chénier demain, après-demain, peut-être. Il y a longtemps que nos ennemis veulent mettre la main sur lui… Vous savez comme moi qu’on a mis sa tête à prix. Or, sur la route j’ai rencontré Olive qui m’a fait des menaces directes. Puis j’ai croisé, quelques minutes plus tard, Félix qui allait au triple galop de son cheval. Intrigué, je me suis dissimulé derrière un taillis. J’ai vu le jeune Bourgeois s’arrêter devant la chaumière de Thomas Vincent, et revenir bientôt après suivi de trois cavaliers inconnus.

— Pour sûr, émit Georges, il doit se passer quelque chose d’étrange.

— C’est au docteur qu’on en veut ! déclara Louisette avec inquiétude.

— Je le pense aussi, répliqua Guillemain.

— En ce cas, dit Octave en se levant, nous n’avons pas à demeurer les bras croisés. Cherchons le docteur et prévenons-le.

— Allons, consentit Georges, et gare aux Anglais !

Les trois jeunes gens partirent aussitôt pour se rendre à la maison du docteur. La femme de Chénier leur apprit que son mari venait de sortir et qu’elle ne savait pas au juste la direction qu’il avait pris. Nos trois amis allèrent de porte en porte s’enquérant du docteur, lorsqu’une femme leur dit qu’elle avait vu, environ un quart d’heure auparavant, Chénier pénétrer dans l’auberge du père Moulin.

— À l’auberge ! cria Octave.

Nous savons ce qu’ils avaient trouvé…

Or, c’est au moment même, où les Patriotes se pressaient autour du cadavre de l’aubergiste, que les trois cavaliers arrivaient à la maison de la forge. Nous avons dit que cette maison était un peu isolée, et, conséquemment, le voisinage pour des malfaiteurs n’était pas à craindre. Tandis que l’un des cavaliers demeurait en surveillance auprès des chevaux à quelques pas de la maisonnette, les deux autres s’approchaient à pas de loup. Un coup d’œil jeté par une fenêtre leur fit voir que Louisette était seule avec l’aveugle. Comme à l’ordinaire, le vieux fu-