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LA BESACE DE HAINE

seconde, sentit une sueur froide inonder sa nuque. Puis il tressaillit fortement en entendant une porte grincer légèrement du côté de la salle des malades.

Abandonnant son arme dans la poitrine de Jean Vaucourt, le vicomte rampa rapidement vers le corridor, puis dans la salle… Là, il se glissa sous le premier lit, terrifié presque par l’apparition qu’il venait de voir : debout, devant la porte de sa cellule, se tenait Marguerite de Loisel. Elle avait entendu le gémissement du capitaine dans le grand silence qui planait de toutes parts, et croyant qu’un de ses malades l’appelait ou demandait quelque assistance, elle était sortie de sa chambre. Mais le même silence solennel régnait encore.

Marguerite, après avoir promené son regard sur la salle, ne découvrant rien de particulier ou d’anormal, rentra dans sa chambre.

Au moment où elle refermait sa porte, le vicomte entendit partir de la chambre du capitaine un nouveau gémissement.

Il frissonna.

Quoi ! Jean Vaucourt n’était-il pas mort ?

Il trembla ! Car il avait songé à retourner dans la chambre pour y reprendre son poignard, ce poignard gravé des lettres F. L. !

Rentrer dans cette chambre ?… Le vicomte n’osa pas… il eut peur !

Et, suant, tremblant, il regagna son lit. Doucement encore il se glissa sous ses couvertures, puis il demeura inerte, exténué, mais plus encore épouvanté par la pensée qu’il avait abandonné dans le sein de Jean Vaucourt son arme ! Un témoin qui pourrait le compromettre !

Le vicomte de Loys plongea dans un cauchemar terrible…


— XV —

C’EST VOUS QUI L’AVEZ TUÉ !…


Au matin suivant, une sœur tourière pénétra dans la chambre du capitaine pour y éteindre la veilleuse. Elle faillit pousser un cri de terreur et s’évanouir en découvrant le capitaine inerte, ensanglanté et le sein percé d’un poignard qui y demeurait planté. Et, chose plus horrible, la main droite de Jean Vaucourt était crispée sur le manche de l’arme.

Elle courut prévenir la sœur supérieure. L’instant d’après toute la maison était bouleversée par cette rumeur affreuse qui courait d’étage en étage, de chambre en chambre, de cellule en cellule :

« Le capitaine Jean Vaucourt avait mis fin à ses souffrances » !

Un suicide !…

La chose était stupéfiante !

Ce suicide était-il possible ? Oui, et c’était même une certitude pour tout le monde.

Pour tout le monde ? Non !

Le vicomte de Loys savait que ce n’était pas un suicide !

Non !… Marguerite de Loisel savait que ce n’était pas un suicide, bien que les circonstances parussent le démontrer ! Elle savait et elle ne savait pas : en apprenant la terrible nouvelle, elle était accourue dans la chambre du capitaine, elle avait vu le jeune homme ensanglanté, livide, immobile et sa main droite serrée sur le manche du poignard. D’abord, elle était tombée à genoux auprès de la couche funèbre en sanglotant.

Ensuite sa pensée s’était mise au travail. Oui, toutes les circonstances pouvaient faire croire au suicide : il tenait encore dans sa main l’arme fatale ! Et puis, Marguerite savait que le capitaine souffrait atrocement, non pas tant de ses blessures reçues à Carillon, que de savoir sa jeune femme et son enfant entre les mains d’ennemis implacables. Savoir que sa femme adorée et son enfant souffraient doublait, triplait sa propre souffrance ! Savoir qu’il ne pouvait aller à leur secours, augmentait sa souffrance !

Dans tout le cours de cette journée où il avait été amené à l’Hôpital-Général, il n’avait cessé de clamer sa souffrance et son désespoir… il s’était suicidé pour échapper à une torture qu’il ne pouvait plus endurer !

Eh bien ! non… l’esprit de Marguerite de Loisel se révoltait à cette pensée ! Elle s’insurgeait opiniâtrement contre cette idée de suicide ! Car Jean Vaucourt avait des ennemis qui le poursuivaient partout ! Car Jean Vaucourt avait tout près de lui un ennemi terrible, le plus terrible peut-être… le vicomte de Loys !

Marguerite, à cette accusation que son cœur voulait mettre sur ses lèvres, se rebellait pourtant… c’était si odieux que c’en était incroyable ! Pourtant !… Elle réussit à faire taire sa pensée, comme elle réussit à faire taire ses lèvres. Elle attendrait les événements.

Et en attendant ces événements, en attendant aussi le chirurgien qu’on avait fait mander, Marguerite retomba dans le gouffre du passé.