Aller au contenu

Page:Féron - La fin d'un traître, 1930.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
LA FIN D’UN TRAÎTRE

chaque fois qu’il sentait les lèvres de la jeune femme effleurer son front ou ses joues, il souriait.

Dans le délire de sa joie, la jeune femme avait peine à se tenir debout.

— Oh ! il finira par m’aimer, père Brimbalon, murmurait-elle, quand il aura compris combien je l’aime !

— S’il finira par vous aimer, chère dame ? Je crois bien…

Ayant satisfait à sa curiosité, le mendiant se retira, mais non sans faire un crochet par la cuisine où Mélie lui avait fait signe de venir pour y déguster une tasse de vin chaud.

Sévérine s’était assise près du lit et ne se lassait pas de contempler son fils. L’adolescent reposait dans une légère somnolence qui ne le tenait pas tout à fait étranger à ce qui se passait autour de lui. Si Mélie ouvrait le porte et entrait dans la chambre, il entendait. Il percevait les chuchotements, les murmures de voix. Peu à peu, il sortit de son engourdissement, et lorsqu’il reprit complètement la possession de sa pensée, un grand silence planait autour de lui. Il ouvrit les yeux et vit tout près de lui la belle jeune femme qui lui souriait et le regardait d’yeux étincelants de tendresse et d’amour.

Il lui sourit longuement.

Elle l’embrassa avec une douceur exquise.

— Te sens-tu mieux, mon petit Louis ? interrogea-t-elle dans un souffle.

— Oui… murmura l’adolescent d’une voix éteinte.

— Ta blessure va guérir en peu de temps, sois-en certain. Dans quelques jours tu ne la sentiras plus.

— Elle ne me fait plus mal… Mais je suis bien faible.

— Tu es bien faible ?… Je le crois, tu as perdu tant de sang. Mais je vais te soigner de mon mieux pour que les forces te reviennent au plus vite. J’ai hâte de te voir bien portant et bien fort comme avant. Oui, je te soignerai, je ne te quitterai pas un instant…

— Vous êtes bonne…

— Parce que je t’aime, mon Louis… parce qu’il n’est pas possible d’aimer plus que je t’aime ! Oh ! mon bel et cher enfant, si tu pouvais voir dans mon cœur, tu y découvrirais une réserve inépuisable d’amour pour toi !

Quelques larmes humectèrent encore les fines paupières de la jeune femme. Mais ses lèvres ne cessaient pas de sourire… elle se sentait si heureuse !

Puis elle demanda avec un accent de timidité que l’adolescent ne manqua pas de saisir :

— Et toi, mon Louis, m’aimes-tu un peu ?

— Oui, je vous aime…

— Pourquoi ne dis-tu pas « maman » ?

— J’ai déjà une maman…

Il ferma les yeux pour ne pas voir sur les traits de sa mère la peine qu’il lui faisait par cette réponse. À la fin, il s’avouait que cette femme était sa véritable mère ; mais celle-ci lui étant encore trop étrangère il n’osait pas l’appeler « maman ». Au surplus, son amour pour l’autre « maman », la Chouette, était si grand qu’il ne lui était pas facile de faire un choix définitif entre les deux femmes. Il était pris comme dans un étau. Deux femmes l’aimaient d’un égal amour, et quoiqu’il aimât l’une plus que l’autre, il ne pouvait encore se décider à choisir, tant il craignait de chagriner l’une ou l’autre de ces deux femmes qui se le disputaient. Se donner à cette femme qui était sa mère, c’était briser le cœur de la Chouette ; se déclarer pour la Chouette et l’accepter pour toujours comme sa mère, c’était peut-être tuer Sévérine. Comment pourrait-il se tirer du terrible dilemme ?

— C’est vrai, reprit Sévérine, tu as déjà une maman, et elle est bonne pour toi. Mais, encore une fois, mon Louis, sache bien qu’elle n’est pas ta vraie maman. Mais moi…

— Vous aussi vous êtes bonne… interrompit le collégien.

Elle le couvrit de baisers, et d’une voix suppliante :

— Pour l’amour de Dieu ! mon petit Louis, dis-moi donc « maman » !

Louison ne répondit pas. Son sourire disparut et les traits délicats de son visage se contractèrent comme si une grande souffrance eût tenaillé son corps, ou comme si sa blessure lui eût fait très mal tout à coup.

— Ah ! ta tête fait mal encore… gémit la malheureuse mère.

— Non, non, elle ne me fait plus mal !

Et l’adolescent ferma encore les yeux et parut s’absorber en ses pensées. L’image de la Chouette lui revenait et il songeait aux mille inquiétudes qui, sans le moindre doute, la tourmentaient à son sujet en ne le voyant pas revenir à la maison. Et quoiqu’il fût bien traité là où il se trouvait, malgré la tendresse que Sévérine lui manifestait, en dépit des caresses qu’elle lui prodiguait, Louison eût préféré cent fois se voir au logis de Flandrin Pinchot et sous les soins de la Chouette. S’il ressentait une grande sympathie pour celle qui était sa mère, son cœur était trop pris par « l’autre mère » pour qu’il pût s’abandonner à celle-là avec la même confiance ou lui donner une part égale de son amour. Et Louison était torturé par la pensée qu’il ne pourrait établir sa préférence sans meurtrir l’âme de l’une ou de l’autre de ses deux mères.

Sévérine devinait l’état d’esprit de l’adolescent, elle devinait et comprenait sa souffrance. Mais elle souffrait, elle aussi, et bien plus atrocement que cette jeune âme qu’elle voyait pour ainsi dire palpiter sous ses yeux. Et pour guérir sa souffrance, à elle, un seul et unique remède était possible : l’amour de son enfant. Mais comment conquérir ce petit cœur timide et récalcitrant ? Il y avait là un travail de longueur et de patience à faire. Sévérine le savait, et elle savait encore que seuls, peut-être, son amour et son dévouement inlassable pour l’adolescent lui donneraient la victoire. Mais elle était impatiente, et elle se sentait portée à hâter la réalisation peut-être encore lointaine d’un accord qu’elle pressentait entre elle et son fils.

Mais, tout en attendant cet heureux événement, si elle pouvait seulement s’entendre appeler « maman », la plus suave des appellations et que toute mère aime à entendre.

Louison était bien tenté de donner cette appellation à sa mère ; mais une crainte qu’il ne pouvait s’expliquer le retenait. Un jour, lors-