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Page:Féron - La métisse, 1923.djvu/25

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LA MÉTISSE


L’Écossais bondit jusqu’à Esther… Page 30

Des sanglots contenus faisaient trembler ses lèvres.

— Assurément vous les reverrez… mais plus tard… quand la chose pourra se faire sans danger pour vous. Pour le moment, il faut vous remettre et recommencer votre vie.

— Recommencer ma vie ! s’écria Héraldine, effrayée de cette expression dont elle ne pouvait, dans le désarroi tumultueux de sa pensée, saisir la justesse. Non ! non ! cela ne se peut pas… je veux la continuer ma vie avec mes petits !

Mes petits !…

Mais à la fin ces mots, si souvent répétés dans la bouche de la Métisse, finissaient par impatienter un peu la vieille femme. Car elle ne savait rien des vœux exprimés par la mère de France et Joubert, et elle n’avait aucune idée de l’attachement, presque indissoluble, qui s’était noué entre Héraldine et les deux enfants de MacSon. Aussi ne pouvait-elle comprendre ni s’expliquer la passion singulière de la Métisse pour ces deux enfants étrangers.

Elle disait alors un peu brusquement… oh ! sans vouloir le moins du monde blesser la pauvre fille :

— Mais ces deux petits… ce sont pas vos enfants après tout ! Des enfants d’hérétique, de païen, des enfants de race étrangère… comment peuvent-ils tant vous préoccuper l’esprit ?

— Ah ! madame, s’écria Héraldine presque choquée, ignorez-vous donc la mère de ces deux enfants ?… une française et une catholique comme vous !

— Oui, c’est vrai, ma fille, t’as raison sous ce rapport. Sans avoir connu cette femme, car dans le temps on ne se voisinait pas avec Macson, j’en ai entendu parler. Mais n’empêche que leur père à ces deux enfants…

— Leur père, madame, n’en parlons pas, interrompit Héraldine. Mais les petits… Ah ! si vous les connaissiez !… Deux vrais petits Canadiens, deux bons petits Français, deux petits anges du bon Dieu ! Oui, deux anges… Ah ! les chers, les chers petits ! Tenez, madame, vous ne le croirez pas : mais il me semble que ces petits-là, ce sont mes enfants à moi… à moi seule !

Un sanglot l’interrompit… elle étouffa. Puis elle serra son sein en tumulte, et, avec effort, elle acheva :

— Et je souffre tant… si atrocement de m’en voir éloignée ! Oh ! je mourrai, si je ne les revois pas ! Mourir !… que m’importe si je ne dois plus vivre avec eux ! Mais avant de mourir, madame, oh ! oui, comme je voudrais les revoir un peu, rien qu’un petit peu. Alors, il me semble que je mourrais moins misérable…

Et incapable de contenir plus longtemps son affreuse douleur, Héraldine s’écrasa sur le banc-lit et pleura.

Quelle terrible situation que celle de cette fille !

Seule au monde, déshéritée, chassée ici, repoussée là, poursuivie, méprisée, battue, femme