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Page:Féron - La métisse, 1923.djvu/47

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LA MÉTISSE

Sans aucun doute l’homme était un malfaiteur… un ennemi…

François décida de lui faire peur, élevant le canon de son fusil vers le firmament, il fit feu.

Strident, le coup de feu se répercuta aux échos de la nuit.

Mais François avait entendu un juron, de surprise ou de colère. Puis il entendit la course rapide d’un être quelconque.

Faisons-lui peur pour tout de bon, se dit François. Et à tout hasard il déchargea son arme deux fois vers la route dans la direction de celui qui se sauvait à toutes jambes.

Un cri de terreur partit de la maison.

— N’aie pas peur, maman, cria François, je chasse des oiseaux de nuit !

Et il riait tout bonnement de la grosse peur qu’il venait de faire au malandrin.

— Il doit sûrement avoir le trac celui-là !…

François écouta. Il saisit à nouveau le roulement de la voiture qui s’éloignait rapidement vers le Sud.

Pendant un quart d’heure François demeura aux écoutes ; et comme la nuit avait repris son calme et sa tranquillité d’avant, il se rassura et rentra chez lui.

À sa mère très effrayée François fut bien forcé de donner des explications. Il omit seulement de lui parler de la venue d’Esther. Il raconta qu’il avait entendu une voiture s’approcher et s’arrêter à quelques pas de la maison, et qu’il avait cru ensuite distinguer une ombre humaine pénétrer dans sa cour. Croyant avoir affaire à quelque rôdeur de nuit, il avait tiré trois coups de fusil pour lui donner la peur. La vieille femme avait accepté cette explication pour argent comptant. Puis François avait regagné son lit, mais toujours intrigué et très inquiet de l’aventure. Aussi, se promettait-il de tirer cette affaire au clair.

Or, le Français était loin de s’imaginer que l’une de ses balles avait atteint un but, et ce but se nommait : Hansen !

La voiture qu’Esther avait croisée sur la route était bien celle de son père qui, avec Hansen, comme tous deux l’avaient comploté, se rendaient à la ferme de Lorrain pour y commettre leur abominable forfait.

À deux arpents de la maison du Français MacSon arrêta ses chevaux, et Hansen descendit de la voiture. Il portait avec lui un bidon contenant un gallon de pétrole.

— Tâchez de faire vite ! lui recommanda MacSon.

— Ce ne sera pas long. Un quart d’heure, et je reviens avec une superbe torche pour m’éclairer le chemin.

Et il partit vers la maison de Lorrain.

C’est au moment où il venait de pénétrer dans la cour qu’il entendit le coup de feu de François. Ce coup partit à gauche, et la lueur du coup de feu lui fit entrevoir dans une seconde la silhouette du Français. Saisi de peur, il tourna sur les talons et prit la fuite pour ne pas demeurer exposé à un second coup de fusil qui, cette fois, aurait pu l’atteindre.

Mais ça n’avait pas été sans avoir lancé un juron de colère, juron qu’il répétait tout en courant vers la voiture de MacSon.

Un deuxième coup de fusil éclata derrière lai, Et Hansen entendit une balle siffler au-dessus de sa tête.

Affolé, il voulut augmenter la vitesse de ses jambes ; mais presque à la seconde même un troisième coup de fusil retentit, et le Suédois sentit un choc contre ses reins, une douleur aiguë, puis une grande faiblesse… Il s’arrêta, haletant, suant, pouvant à peine se tenir debout sur ses jambes flageolantes.

Dans la première minute qui suivit il chercha à se rendre compte de ce qui l’avait frappé : une balle sans doute ! Il voulut payer d’énergie…

— Bah ! murmura-t-il, si je peux seulement me rendre à la voiture et me faire conduire au village, j’en serai quitte à bon marché.

Au même instant, Hansen tressaillit violemment. Le roulement d’une voiture qui s’éloignait à toute vitesse venait de frapper son oreille.

— MacSon qui s’enfuit !

Ce fut la première idée du Suédois, Mais une autre pensée, plus terrible, bouleversa son cerveau : c’était un soupçon qui germait, un soupçon qui mit du feu dans sa tête, un soupçon qui devenait un fait une vérité indéniable pour lui. MacSon l’avait trahi !…

— Oh ! grinça Hansen, le poing levé et menaçant, c’est toi, MacSon, qui m’as vendu à Lorrain, et c’est un piège que vous m’avez tendu tous les deux ! Attends un peu, maudit Écossais, tu n’as pas fini avec moi !…

Avec un blasphème affreux il voulut s’élancer sur la route pour rejoindre le fermier. Il ne put faire trois pas sans tomber, ses forces l’abandonnaient. Alors il se mit à rugir, à hurler sa colère, sa haine, sa vengeance future ; rugissements et hurlements étaient emportés par le vent.

Au bout de quelques instants, avec une énergie désespérée, Hansen parvint à se remettre debout, à faire quelques pas mal sûrs. Sa tête tournait, des lueurs multicolores passaient devant ses yeux, une torpeur mystérieuse envahissait chacun de ses membres. Alors il sentit, comme un liquide froid couler le long de ses jambes, jusque dans ses souliers. Du sang ! Cette pensée le fit bondir d’épouvante.

— Je suis blessé !… je suis blessé !… rugit-il… blessé mortellement peut-être ! Ah ! pourvu que je puisse atteindre le village !

Le village !…

Il en était loin, le malheureux. Même avec la plus grande énergie pourrait-il jamais y arriver !

Qu’importe ? La peur de la mort sembla amener une recrudescence de ses forces, et Hansen se mit à marcher lentement, titubant, tombant. Il se relevait avec une imprécation, un blasphème, une malédiction à l’adresse de MacSon.

Deux pensées seulement soutenaient son énergie : la vie ! la vengeance !

Et il marcha longtemps, faible, inconscient, ayant dépassé la ferme de MacSon sans la voir.

Et tout à coup il s’écrasa lourdement dans la boue pour demeurer inanimé.