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LA PRISE DE MONTRÉAL

tes à l’ennemi, veuillez vous souvenir que nous serons devant ces mêmes portes !…

Il s’en alla.


IV

DÉCEPTION


D’Aubières était revenu à son comité.

Vers les sept heures du soir le peuple était revenu s’assembler en groupes turbulents sur la Place du Marché, les tavernes des alentours regorgeaient de buveurs et d’âpres discussions s’y engageaient sur les événements du jour, des bagarres éclataient çà et là, dans les tavernes, dans les places publiques, sur les rues noires, malgré les nombreuses compagnies de miliciens qui exerçaient la surveillance de la cité pour y maintenir l’ordre et la paix, et des agents de Cardel et de Lady Sylvia s’introduisaient partout pour amener la désertion dans les bandes qui obéissaient à D’Aubières et à ses lieutenants. L’ouragan diminuait peu à peu et l’on saisissait mieux les bruits et les rumeurs de la cité. À voir les lieux publics et les rues encombrés de citadins, on aurait été porté à croire que toute la population avait déserté ses logis. Les cloches des églises appelaient les fidèles aux cérémonies religieuses, boutiques, magasins, échoppes débordaient de clients. Les affaires allaient comme à l’ordinaire, peut-être mieux qu’à l’ordinaire. Les amoureux eux-mêmes continuaient à rouler le fil de leurs amours comme si rien n’était. Bref, on avait tellement confiance dans les chefs canadiens qu’on ne se préoccupait nullement du danger qui menaçait la ville. La gaieté et la turbulence française maintenaient leur entrain.

Lorsque Maurice D’Aubières pénétra dans ses quartiers généraux, à son retour du Comité des Indépendants, une jeune fille accourut joyeusement et lui tendit ses bras ; c’était cette beauté brune dont l’image, dans l’esprit de Maurice, avait éclipsé celle de Lady Sylvia.

— Mirabelle !… prononça tendrement le jeune homme en la pressant contre sa poitrine.

— Maurice ! Maurice !… murmura la belle fille avec un accent éploré, j’ai peur pour toi !

— Pourquoi, mon ange ?

— Parce que… parce que ce traître… ce Cardel…

— C’est vrai, interrompit doucement D’Aubières en levant ses épaules avec dédain ; ce traître à sa race m’a effectivement menacé de mort… S’il eût été d’une décision plus prompte, j’étais bien mort. Heureusement, un ange est survenu… un ange blond qui m’a préservé du danger… mais un ange moins bon et moins beau que toi, ma Mirabelle !

— Oh ! s’écria Mirabelle en rougissant, veux-tu parler de Lady Sylvia ?

Dans les yeux très noirs de la jeune fille D’Aubières crut percevoir une pointe de jalousie, ce qui le fit rire.

— Voyons ! Mirabelle, dit-il avec un accent de doux reproche, qu’osez-vous penser ? Ne vous ai-je pas dit que Lady Sylvia est moins belle que vous ?

Elle le regarda avec étonnement pour demander avec une expression de doute.

— Pourquoi, Maurice, ne me tutoies-tu pas ?

— Pardon, c’est un oubli. Cela m’arrive quelquefois avec mes amis les plus intimes. Tu sais bien que je t’aime trop…

— Mais je sais aussi que cette Lady Sylvia est une sirène dangereuse. Prends garde, Maurice, qu’elle ne te tende un piège et ne te fasse oublier tes serments.

— Sois tranquille Mirabelle, je t’aime et jamais une autre femme que toi ne partagera les tendresses de mon cœur. Aie confiance en moi comme j’ai confiance en ta fidélité et en ton amour. Bientôt, tu le sais, nous serons unis pour la vie.

— C’est bien, je te crois. Mais viens… on a besoin de toi !

Elle l’entraîna vers la table autour de laquelle plusieurs jeunes officiers s’entretenaient.

Mirabelle Chauvremont avait vingt ans. Elle était née au Détroit où son père, M. Chauvremont, qui descendait d’une vieille famille canadienne, avait longtemps fait le commerce des pelleteries, et où sa mère était morte quelques années après la naissance de cette enfant unique. Plus tard Chauvremont était venu se fixer à Montréal. Il y avait continué son commerce qui lui avait apporté une belle fortune. Chauvremont jouissait d’une grande réputation de droiture et, très patriote, il avait offert à Carleton une partie de sa fortune pour aider à la défense du pays. Comme