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LA PRISE DE MONTRÉAL

et un traître. Et Lambruche dont il connaissait le dévouement sans bornes ? Ah ! en voilà un sur qui il pouvait compter. Lambruche lui resterait fidèle, quoi qu’il arrivât ! Et Lambruche fouillerait la ville de fond en comble pour le retrouver, traître ou non fût-il devenu lui, Maurice D’Aubières !

Et Maurice, à ces pensées nouvelles, sentit l’espoir remonter.

Tout à coup une clef grinça dans la porte et celle-ci s’ouvrit pour livrer passage à Lady Sylvia, toute vêtue de velours noir. Ce noir faisait ressortir avec un éclat merveilleux toute la blondeur suave de son visage et de ses cheveux. Maurice fut ébloui malgré lui, et il lui sembla que nulle beauté humaine ou divine ne pouvait surpasser ni même égaler la beauté de cette femme. Cette fois l’image de Mirabelle pâlit affreusement. Et le sourire séducteur de cette femme, la naïve simplicité de sa physionomie, la pudique expression de ses regards, la douceur de sa voix, tout, bien que factice et trompeur, comme Maurice s’en doutait, était d’une telle sincérité apparente que le jeune homme faillit en être dupe.

Sa première parole en entrant avait été celle-ci :

— Je m’imagine que vous devez vous ennuyer beaucoup, monsieur D’Aubières…

Lui ne sut que répondre. Il demeura comme en extase, debout au centre de la chambre, droit, ses deux mains toujours liées derrière son dos.

La jeune femme souriait gracieusement. Maurice s’intrigua de ne pas la voir refermer la porte, et hors de cette porte il ne vit pas les deux factionnaires. Que venait faire la jeune femme ? Tout à coup il avisa dans la main droite de Lady Sylvia une courte dague dont la lame étincelait. Et la jeune femme s’avançait vers lui, avec ce sourire qui le fascinait, avec ces yeux pleins de caresses qui l’enivraient malgré lui. Un frisson passa sur son épiderme, un frisson dont il n’aurait pu expliquer la cause. Était-ce le charme irrésistible de cette créature ou la vue de ce stylet qui le faisait ainsi frissonner ? Était-ce ivresse ou peur ?

Lady Sylvia s’arrêta tout près du jeune homme, et sans mot dire, elle se pencha et coupa du stylet les liens qui enserraient les deux poignets de Maurice.

— Ah ! ça, madame, fit-il avec surprise, vous me rendez donc ma liberté ?

— Peut-être, monsieur, répondit-elle en glissant le stylet dans son corsage. Pour le moment, vous le voyez, je rends la liberté à vos deux mains.

— Merci, Madame !

— Je viens vous inviter à descendre à mon salon.

À présent que je suis seule, que Monsieur Cardel n’est pas là… Ah ! j’oublie de vous dire que je ne suis pas tout à fait responsable de ce qui vous arrive… J’ai été impuissante… Monsieur Cardel a voulu simplement prendre des précautions…

— Des précautions que vous avez approuvées… dit Maurice dans un sourire moqueur.

— Vous me jugez mal, Monsieur.

— Ne l’avez-vous pas aidé en m’enlevant mon épée ?

— Vous interprétez mal mon action : si je vous avais laissé votre épée, vous seriez mort à cette heure ce que je ne voulais pas qui arrive.

— Mort ? Pourquoi ?

— Parce que si vos ennemis vous avaient trouvé avec une arme en vos mains pour vous défendre, ils vous auraient foudroyé des balles de leurs pistolets. J’ai prévenu ce meurtre.

— S’il en est ainsi, Madame, je dois reconnaître que je vous dois ma vie, et je vous remercie en vous assurant de toute ma gratitude. Mais voulez-vous me dire l’intérêt qui vous pousse à prendre ainsi ma défense ? Deux fois déjà cette nuit vous m’avez préservé de la mort…

Lady Sylvia sourit plus doucement, plus énigmatiquement. Lentement elle approcha ses lèvres de l’oreille du jeune homme et dans un murmure qui ressembla à une caresse :

— C’est parce que je vous aime… souffla-t-elle.

Et Maurice n’était pas revenu de sa stupeur que la jeune femme saisissait une de ses mains et l’entraînait hors de la chambre, disant :

— Venez en mon salon… Nous y serons mieux pour nous entretenir. Votre captivité, si elle doit durer plus longtemps, vous paraîtra moins longue.

Hébété, sentant la folie d’un rêve extravagant l’envahir, Maurice suivait la jeune femme.