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LA PRISE DE MONTRÉAL

sourire dédaigneux à l’adresse du jeune général.

— Bah ! reprit négligemment celui-ci, nous nous entendrons mieux tout à l’heure. Passons.

Il esquissa un sourire énigmatique et poursuivit :

— Avant, toutefois, d’en venir au but même de ma visite, laissez-moi vous confesser que je suis venu seul dans votre ville afin de me renseigner de visu sur vos moyens de défense et sur l’état moral de la population. Je suis content d’ajouter que j’ai trouvé les choses et les êtres tels qu’on me les avait représentés… Je n’ai eu qu’un désappointement…

Ici Maurice et Mirabelle laissèrent paraître sur leurs physionomies un grand intérêt, et le général, qui était un physionomiste, amplifia son sourire énigmatique.

— Et je n’ai pas de honte à l’avouer, continua-t-il plaisamment ; en effet, je voulais, après mon investigation, retourner auprès de mes soldats, mais j’ai trouvé vos portes et poternes gardées.

— C’est moi qui avais donné l’alarme, général ! sourit fièrement Mirabelle.

— Merci, mademoiselle. C’est donc grâce à vous que j’ai le loisir et le grand bonheur de vous entretenir vous et monsieur D’Aubières, ainsi que ce… vaillant capitaine Lambruche !

Ce dernier, les yeux fermés toujours, ne parut pas entendre ces paroles et demeura impassible.

— Ainsi donc, dit D’Aubières, vous êtes parfaitement renseigné sur notre système et nos moyens de défense ?

— Parfaitement, monsieur, c’est vous qui le dites. À présent, si vous vous remémorez mes proclamations, vous vous rappellerez que, au nom de mon pays, j’ai promis aux Canadiens le respect de leurs propriétés, de leurs lois, de leur langue, de leurs autels. Je les ai assurés que nous ne voulions changer en rien quoi que ce fût du régime actuel, sauf à leur rendre certains privilèges que le gouvernement du roi George leur a ravis, lesquels étaient garantis par le Traité de Versailles basé sur les capitulations de 1759 et 1760. J’ai, au nom de mon gouvernement, affirmé et promis que le pays, tout en étant annexé à nos provinces, aurait le privilège de se gouverner par lui-même à la condition seulement de former ce gouvernement selon les lois de nos constitutions. Et nous sommes si sincères, et nos lois sont si généreuses, que déjà le pays entier, hormis votre ville, semble disposé à nous tendre les mains. Les campagnes sont avec nous. Depuis que le Fort Saint-Jean est tombé en notre pouvoir, vos paysans accourent joyeusement sous nos drapeaux. Si je le voulais, demain, je lancerais à l’attaque de votre ville vingt régiments uniquement formés de vos compatriotes.

— Mais vous ne le ferez pas ! dit Lambruche rudement.

— Je n’y songe point, capitaine, tant il me répugne de jeter dans la mêlée des frères contre des frères. Mais si je voulais…

— Vous ne pourriez pas vouloir ! dit encore Lambruche, toujours les yeux fermés.

— Et pourquoi, Monsieur ?

— Parce que vous êtes ici, et que demain vous ne serez pas à la tête de vos régiments !

Montgomery se borna à sourire dédaigneusement et reprit son discours.

— Monsieur D’Aubières, et vous Mademoiselle, vous aimez votre pays, c’est votre devoir et je vous estime hautement. Vous le défendez, vous faites bien et nous ne saurions vous en blâmer. Nous n’avons aucun grief contre votre race. Mais nous sommes en guerre…

— En révolte… corrigea Lambruche.

Montgomery fit mine de n’avoir pas entendu et poursuivit :

— Nous sommes en guerre contre l’Angleterre et son gouvernement. Nous leur avons demandé de retirer leurs troupes de nos provinces, ils ont refusé. Nous avons battu ces troupes, et nous venons à présent, pour notre sécurité, soumettre les autres troupes anglaises au Canada. En soumettant ces troupes armées nous leur demandons, ainsi qu’aux habitants du pays, de reconnaître notre suprématie, et nous leur offrons des lois et un gouvernement qui seront en sympathie avec leur caractère et leurs coutumes.

— Il est vrai que vous offrez telles lois et tel forme de gouvernement, interrompit Mirabelle ; mais quelle garantie recevrons-nous ? Aujourd’hui l’Angleterre respecte nos coutumes et nos usages et nous avons juré de demeurer fidèles à sa couronne. Nous serions des traîtres si, selon la définition que vous en avez faite tantôt, nous manquions à la parole donnée. Comme