Page:Féron - La prise de Montréal, 1928.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
LA PRISE DE MONTRÉAL

— Vivent les Américains !…

XVII

DÉNOUEMENT

Tout à coup D’Aubières jeta cet ordre :

— Ouvrez les portes !

Maurice comprenait enfin que la ville entière voulait cet ordre qu’il donnait, et il ne fut pas trompé en entendant l’ordre accueilli par une tempête d’acclamations joyeuses.

D’Aubières ne refusa plus la main que lui tendait amicalement le général américain.

Une joie frénétique souleva le peuple. Et tandis que les vivats retentissaient, les miliciens de Lambruche se ruaient contre la barricade de la Porte du Marché, la démolissaient, puis couraient ouvrir la porte elle-même. De l’autre côté, des régiments américains attendaient l’ordre de leurs officiers de pénétrer dans les murs de la cité.

Mirabelle jeta un cri de fureur et s’élança vers Lambruche, toujours couché sur son canon.

— Lambruche !… Lambruche !… tourne la gueule de ton canon vers cette porte et défends-la, si tu as du cœur !

Le capitaine tout en bâillant obéit à l’ordre de la jeune fille. En un tour de main, il braqua son canon contre la porte et les soldats américains qui allaient la franchir.

— Feu… commanda ensuite Mirabelle.

Lambruche secoua la tête.

— Ah ! bien, pour ça, mademoiselle, dit-il, il faut l’ordre de Monsieur !

Tout s’était subitement immobilisé et un silence tragique planait.

Mirabelle leva la tête vers D’Aubières qui, avec Montgomery, demeurait toujours sur le toit de la bicoque.

— Donne cet ordre, Maurice ! supplia-t-elle presque.

— C’est inutile, Mirabelle, la partie est perdue !

— Ah ! jusqu’à toi, le chef, gémit-elle, jusqu’à toi qui renies son pays et le sol de tes ancêtres ! Adieu, lâche ! Adieu, traître !

Et, les yeux mouillés de larmes brûlantes, la gorge brisée de sanglots, Mirabelle, entraînée par son père, prit le chemin de la cité.

— Mirabelle ! Mirabelle ! cria D’Aubières.

Elle s’arrêta pour le regarder avec une sorte d’étonnement douloureux.

— Je ne suis pas un traître, Mirabelle, proféra avec énergie Maurice.

— Prouve-le, si tu veux que je te croie !

— Ah ! le prouver… ricana sourdement D’Aubières… Attends !

Montgomery venait de s’approcher tout près du jeune homme.

— Mon ami, lui dit-il, ne faites pas la folie… voyez !

Les Américains franchissaient la Porte du Marché.

Alors, au risque de se casser le cou, D’Aubières sauta en bas de la bicoque, mit l’épée à la main et commanda d’une voix terrible :

— Feu, Lambruche !

Et sans attendre il se rua, suivi seulement de quelques braves, contre les soldats américains. Mais cent coups de feu crépitaient aussitôt, et D’Aubières tombait sous la pluie de balles.

— Mille cornes du diable ! jura Lambruche.

Et, abandonnant son canon, il courut à D’Aubières, le prit dans ses bras et l’emporta à toute course.

Plus loin, une charrette tirée par des volontaires emportait M. Chauvremont et Mirabelle évanouie dans ses bras.

La ville était prise, Montgomery restait le maître.

Par toute la ville, le peuple était en fête, et citadins et soldats américains fraternisaient.

Montgomery, sous un ouragan d’ovations, descendit du toit de la bicoque, et au premier rang de la foule enthousiasmée qui se pressait vers lui pour le féliciter, il aperçut Lady Sylvia, toute rayonnante. Il la salua avec empressement.

— Ah ! monsieur le général, s’écria la jeune femme toute frémissante de bonheur, la partie est enfin gagnée !

— Oui, madame. Malheureusement, je suis profondément chagriné pour cette pauvre et vaillante jeune fille.

— Mirabelle, voulez-vous dire ?

— Oui, madame.

— Mais pourquoi, général ?

— Parce que son fiancé, ce brave D’Aubières, est peut-être mort… et mort sans profit !

Des citoyens de la noblesse et de la bourgeoisie canadiennes s’approchaient pour saluer le jeune général.

Puis toutes les cloches des églises appelèrent les fidèles à la messe. Le peuple interrompit ses réjouissances pour accourir à ses temples. Montgomery, entouré de son état-major, se rendit à l’église paroissiale par respect pour la foi de la population qu’il venait de conquérir. Et durant l’heure qui suivit