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— Tiens ! fit Lambert, voici le capitaine. Approche, Dumas ! dit le lieutenant à voix basse.

L’instant d’après Dumas se trouvait tout près de la jeune fille ; mais celle-ci le devinait seulement.

— Bonsoir, Miss Tracey ! salua galamment Dumas.

— Ah ! ah ! capitaine, dit Miss Tracey en riant, on croirait que vous conspirez aussi !

— C’est vrai, Miss Tracey, je conspire… ou mieux nous conspirons, vous, Jean Lambert, et moi !

La jeune fille, quoique très troublée au fond, continua de rire tranquillement.

Lambert, informa Dumas des choses que lui avait confiées Miss Tracey.

— En ce cas, dit Dumas après avoir réfléchi un moment, il est très important que nous prenions des précautions immédiates contre Rowley et Lymburner.

— Songez-vous à les faire arrêter ? interrogea avec inquiétude Miss Tracey.

— Certainement, Miss. L’ordre est déjà donné.

La jeune fille chancela, et dans son trouble elle ne put réprimer cette interrogation qui pouvait la compromettre :

— Et… mon père ? demanda-t-elle.

Dumas esquissa un sourire.

— Nous ne lui causerons aucun trouble, s’empressa-t-il de répondre. Car, voyez-vous, Miss Tracey, du moment que Rowley et Lymburner seront en notre pouvoir, votre père qui obéit malgré lui, je le pense bien, à ces deux traîtres, ne sera plus un danger.

— Puisque c’est ainsi, murmura la jeune fille, je vais retourner immédiatement chez nous afin de rassurer mon pauvre père.

Elle fit un mouvement pour se retirer… Car, disons-le, Miss Tracey Aikins vivait depuis dix minutes dans des transes terribles.

Dumas la retint.

— Pardon ! dit-il. Mais vous ne pouvez retourner chez vous cette nuit.

— Pourquoi ? demanda Miss Tracey en pâlissant encore.

— Parce que votre vie serait menacée. Qui sait si des émissaires de Rowley ne se vengeraient pas en s’attaquant à vous ?

— Vous croyez ?

— Je le crains.

— Mais où irai-je ?… Je ne peux pas passer la nuit dehors…

— Si vous le voulez, je vous conduirai chez des amis.

— Vraiment ?…

Cette fois, Miss Tracey se sentit prise au piège. Tenter de se déprendre, c’était accroître le danger. Mieux valait se soumettre naïvement, puis gagner du temps et aviser plus tard. Oh ! si elle avait pu, seulement, prévenir Rowley et Lymburner !…

Dumas murmura quelques mots à l’oreille de Lambert qui partit immédiatement du côté des barrières.

— Quant à nous, reprit Dumas en offrant son bras à la jeune fille, nous allons nous rendre à la caserne où je veux prendre certains papiers, puis de là je vous conduirai où je vous ai dit.

Mais quelle ne fut pas la stupeur de Miss Tracey, lorsque le capitaine, vingt minutes après, la fit entrer dans la maison de Mme Daurac, sur la rue Saint-Pierre, où Cécile la reçut avec le meilleur sourire.

Miss Tracey se crut la proie d’un rêve insensé !


VII

L’ALERTE


Sur l’ordre de Dumas, Lambert était allé rejoindre Cécile Daurac, toujours en faction aux barrières de la Ruelle-aux-Rats.

— Et Miss Tracey ? interrogea vivement Cécile en reconnaissant le lieutenant.

— Oh ! c’est une fine comédienne, que Miss Tracey, répondit Lambert avec une admiration narquoise.

— Comédienne ?… Je te crois, mon Jean, et je te préviens d’avoir à te défier d’elle. Mon intuition de femme m’autorise à te parler ainsi. Il y a longtemps que j’ai deviné Miss Tracey. Depuis longtemps je sais que c’est une fille dangereuse. C’est une vipère qui mord en souriant. Prends garde, mon Jean !

— Elle n’est plus à craindre, Cécile.

— Où l’as-tu laissée ?

— Dumas l’a prise sous sa protection, se mit à rire Lambert, en attendant qu’il te la confie.

— Que veux-tu dire ? demanda Cécile étonnée.

— C’est une idée de Dumas, et une idée merveilleuse. Pour empêcher Miss Tracey d’aller prévenir ses complices de son échec, et, par conséquent, de les mettre sur leur garde, Dumas a trouvé un prétexte pour conduire Miss Tracey chez des amis qui veilleront sur elle.