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LA TAVERNE DU DIABLE

cave. Il y trouva Mme Daurac qui, étendue sur une pile de draps et de velours qu’elle y avait emménagés depuis quelques jours, gémissait doucement.

Mais Lambert la rassura en peu de temps, puis, aidé de Cécile, il la fit remonter au rez-de-chaussée.

Alors Cécile s’était mise à rire.

Mais Mme Daurac n’avait guère d’humeur pour la plaisanterie. Elle rudoya Cécile, la réprimanda et, sur les conseils de Lambert, elle monta à sa chambre.

Lambert s’occupa ensuite de remettre en état, autant que possible, le volet brisé par Lucanius. Dans la fenêtre il cloua des planches. Puis en compagnie de Cécile il prit une légère collation et s’en alla. Il passait minuit.

Cécile, très fatiguée aussi, monta à sa chambre. Ce ne fut pas long qu’elle dormit d’un sommeil profond, mais d’un sommeil plein d’un rêve exquis : Cécile rêvait qu’elle épousait enfin son Lambert, devenu capitaine, et qu’elle vivait heureuse… très heureuse…

Aux petites heures du jour suivant elle fut réveillée en sursaut par le bruit du heurtoir de la porte d’arrière.

Qui cela pouvait-il être ?

Avant de se lever elle prêta encore l’oreille.

Le heurtoir résonnait sans cesse.

— Cécile, cria Mme Daurac de la chambre voisine, n’entends-tu pas qu’on frappe à la porte ?

— Oui, maman, je me lève et je cours voir qui est là.

Elle s’enveloppa rapidement d’une robe de matin, enfouit ses petits pieds dans des mules en fourrure d’hermine, et descendit.

Avant d’ouvrir la porte elle demanda :

— Qui est là ?

— Ouvrez, mademoiselle, répondit une voix que la jeune fille pensa reconnaître, c’est le général Carleton qui m’envoie.

— Le général Carleton, dites-vous ? demanda Cécile très surprise et croyant avoir mal entendu.

— Oui, mademoiselle.

— C’est bien… j’ouvre !

Elle tira les verrous, fit jouer une énorme clef dans la serrure et ouvrit la porte massive.

Dans la diffuse clarté du matin elle aperçut trois hommes : l’un portant l’épée, les deux autres des fusils en bandoulière. Elle reconnut de suite le lieutenant Turner accompagné de deux soldats d’infanterie. Puis elle remarqua que la neige commençait de tomber par petits flocons serrés.

Cécile, très troublée par cette visite inattendue, s’écarta pour laisser entrer ces militaires.

Turner remarqua le trouble de Cécile et il esquissa un sourire mystérieux.

— Pardon, mademoiselle, de vous déranger à une heure si matinale !

— Mais que me veut donc le général ? interrogea la jeune fille un peu inquiète.

— Il désire vous voir sans faute et le plus tôt possible.

— Mais encore, savez-vous pour quelle raison il désire me voir ?

— Je n’en sais pas la raison, mademoiselle.

— Mes ces soldats ?… fit Cécile de plus en plus étonnée et inquiète.

— Ces soldats, mademoiselle, vous accompagneront au Château, tandis que moi je ferai mon rapport ici, c’est-à-dire sur les lieux mêmes, si vous le permettez.

— Votre rapport ! dit Cécile qui croyait faire un rêve.

— Eh bien ! répliqua avec un sourire légèrement railleur Turner, votre domicile n’a-t-il pas été violé la nuit dernière par un intrus ! N’a-t-on pas enfoncé une fenêtre de votre boutique ?

— C’est vrai, répondit Cécile qui se tranquillisa.

— Or, le général m’a ordonné de décrire les lieux, de calculer les dommages causés et de faire rapport ; donc, si vous permettez…

— C’est bien, dit Cécile. Entrez dans cette salle, il y a une table. Par cette porte dont les vitres ont été cassées, vous entrerez dans la boutique et vous y constaterez les dégâts.

Turner suivit Cécile dans la salle, alluma la lampe de suspension à même le feu de la bougie que Cécile tenait à la main, puis dit avec satisfaction :

— All right, mademoiselle.

— Si vous avez froid, dit encore Cécile très aimablement, vous pourrez réveiller les braises endormies de la cheminée.

Turner, qui n’avait certes pas trop chaud, suivit le conseil de la jeune fille, tandis que celle-ci remontait à sa chambre pour s’habiller.

Dix minutes après elle descendait prête à suivre les deux soldats.

Elle vit Turner assis à la table de la salle et qui paraissait réfléchir. Elle dit :

— Maman va descendre tout à l’heure. Si vous aviez besoin de quelque chose, elle se fera un vrai plaisir de vous être utile.