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LA TAVERNE DU DIABLE

La jeune fille dut comprendre la résolution du lieutenant.

La trappe venait de s’ouvrir à demi, par l’ouverture la tête inquiète de John Aikins passa. Le tavernier demeura un moment l’oreille aux écoutes. Puis, comme il n’entendait aucun bruit venir de la cave, il laissa retomber le panneau.

Lambert souffla fortement, après avoir durant une minute retenu sa respiration. Puis dans l’obscurité qui sembla plus épaisse, il vit devant lui les yeux de la jeune fille briller comme des charbons ardents.

— Miss Tracey, dit le jeune homme, pardonnez-nous d’user de violence ; mais nous n’avons aucunement le choix des moyens. Voulez-vous nous dire qui sont les personnes là-haut et combien elles sont ?

La jeune fille branla la tête en signe de dénégation.

Lambert écarta légèrement le bâillon.

— Vous dites non ? demanda-t-il.

— Non !… répliqua Miss Tracey sur un ton farouche.

— C’est bien, répondit Lambert, je ne veux pas insister. À présent, nous allons vous lier les mains et les pieds, jusqu’à ce que nous ayons terminé nos petites affaires là-haut.

— Mais où veux-tu que nous prenions des cordes ? interrogea le capitaine.

— J’ai une idée, répondit Lambert. Nous allons couper quelques lanières d’étoffe dans le manteau de mademoiselle. Je sais bien que c’est manquer de galanterie, ajouta Lambert avec un ricanement narquois, mais il faut tenir compte des circonstances. Et puis, je m’engage, Miss Tracey, à vous remplacer votre manteau par un autre, dès que nous aurons réglé nos affaires ici.

Ce qui fut dit, fut fait.

Cinq minutes après la jeune fille était solidement ligotée, puis Dumas l’asseyait sur une caisse près de l’escalier en disant :

— Mademoiselle, lorsque nous aurons achevé notre besogne là-haut, nous vous rendrons votre liberté.

— Ainsi que votre manteau, ajouta Lambert en ricanant encore.

Si les deux hommes avaient pu voir le regard de la jeune fille à cet instant, ils auraient frémi d’effroi, tant ce regard était chargé de haine implacable.

Mais Dumas venait de dire :

— À l’œuvre maintenant, Lambert !

Le lieutenant grimpa doucement l’escalier, Dumas le suivit.

Près de la trappe et sous le panneau Lambert prêta l’oreille : le même murmure de voix, mais plus distinct, se faisait encore entendre, et ces voix semblaient partir d’une pièce éloignée. Là, au-dessus de la trappe, aucun bruit.

Doucement Lambert poussa le panneau. C’était la cuisine… Lambert vit qu’elle était déserte et il monta tout à fait suivi de près par Dumas. Le feu mourait dans la cheminée. Les deux hommes remarquèrent que toutes choses étaient à l’ordre et que la plus grande propreté régnait partout.

Cette pièce était vaste. Deux fenêtres l’éclairaient, mais pas à ce moment : l’une d’elles avait ses deux volets bien clos, l’autre avait un volet à demi ouvert seulement ; mais cette petite ouverture donnait suffisamment de lumière à l’intérieur.

Les deux amis virent trois portes, à gauche, à droite, au fond. Ces portes étaient fermées. Celle de gauche était connue de Lambert : elle communiquait avec la grande salle. Mais les autres lui étaient inconnues.

Dumas avait dit :

— Il importe d’ouvrir la bonne porte ! — Là ! dit Lambert en indiquant la porte à droite.

En effet, par cette porte l’on pouvait saisir presque distinctement une conversation tenue à voix basse.

— À l’assaut ! dit Dumas.

Les deux amis armèrent leurs mains de pistolets, puis Lambert marcha vers la porte de droite qu’il ouvrit violemment.

Les deux hommes se trouvèrent en présence de quatre personnages assis autour d’une table sur laquelle était étendu un parchemin. Sur ce parchemin Rowley traçait à l’aide d’une plume des lignes quelconques.

Mais à l’apparition des deux officiers les quatre personnages avaient bondi, puis s’étaient dressés, et de suite leurs mains avaient cherché leurs armes.

— Pas un geste ! commanda Lambert d’une voix forte, sinon nous tirons !

Mais à la seconde même, par un bond rapide et prodigieux, le major américain, sauta à la gorge de Lambert. Un pistolet éclata dans la main droite du lieutenant, et la balle alla se loger dans un mur.

Lymburner avait en même temps poussé une porte placée derrière lui et avait crié :

— Alerte !

Lambert et Lucanius s’étaient pris dans un corps à corps.

Dumas avait déchargé ses deux pistolets sur Aikins et Lymburner, puis il avait pris