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Page:Féron - La vierge d'ivoire, c1930.djvu/43

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LA VIERGE D’IVOIRE

Elle se mit à pleurer sur l’épaule du jeune homme interdit.

Troublé, frissonnant, Fernand releva la tête d’Hortense, baisa ses lèvres humides de ses pleurs et demanda la voix tremblante :

— Tu ne sais donc pas que j’aime l’autre ?

— Je ne sais rien et ne veux rien savoir. Moi, je t’aime, et cela me suffit !

— Tu seras malheureuse avec moi !

— Moins que de vivre loin de toi !

— Entre nous deux il y aura toujours l’image et le souvenir de l’autre !

— Pas toujours, Fernand. Car, vois-tu, je me ferai si belle — car je sais me faire belle quand je veux — oui, je me ferai si attrayante, si bonne, que l’image de l’autre s’effacera !

— Pourtant, Hortense, tu es belle déjà !

— Oh ! ne raille pas, hein ! Je sais que je ne suis pas belle en ce moment !

— Je te dis que je te trouve belle moi, très belle !

— Tu es sérieux ?

— Regarde-moi !

Oui, chose extraordinaire, Fernand semblait redevenu lui-même ; il souriait doucement, heureusement… puis à pleines lèvres il embrassait les lèvres qui ne se refusaient pas aux siennes.

— Alors, tu me regretteras, si tu me dis adieu ! balbutia Hortense tout enivrée.

— Je ne veux pas te dire adieu !

— Non ? Vrai ?… Embrasse-moi encore, Fernand, parce que je ne te croirai pas !

— Crois, mon amour… tu vois bien que je t’aime !

— C’est vrai que tu m’aimes, puisque tu me l’as déjà dit !

— Je t’aime par-dessus tout au monde !

Cette fois Hortense regarda le jeune homme très longuement. Quoi ! est-ce elle maintenant qui devenait folle ? Ou bien, ce Fernand, avec son sourire mystérieux, était-il en train de lui jouer un acte de comédie ?

Elle se sentit fortement pressée dans les bras du jeune homme, elle ferma les yeux, et ses oreilles saisirent ces paroles :

— Je t’aime mieux que mon père, mieux que ma mère ! Hortense, m’entends-tu ?

Les lèvres de la jeune fille avec un sourire de joie sublime murmuraient :

— Oh ! Vierge d’Ivoire… merci !

Fernand, qui n’avait pas compris, continuait de presser la jeune fille contre lui, il la dévorait de ses lèvres.

— Hortense, c’est pour Pâques, n’est-ce pas ?

— Oui, Fernand… murmurèrent les lèvres de la jeune fille.


XIV

COMMENT FINIT CETTE HISTOIRE VRAIE


Philippe Danjou était devenu le mari choyé de Lysiane, tout comme Hortense était devenue l’heureuse épouse de Fernand Drolet. Et sur le seuil de la vie nouvelle pour eux, les quatre amants ne découvraient que des horizons de parfait bonheur.

Et ce capricieux bonheur était revenu chez M. Roussel. Seulement, après tant de longues veilles qu’il avait passées auprès de la couche de sa fille, après les milles inquiétudes, les sombres angoisses, les désespoirs, le négociant s’était casé. Il avait en quelques mois excessivement vieilli, et depuis la fin d’avril il avait cessé de se rendre à son établissement de la rue Saint-Paul.

Alors s’était réalisée la prédiction d’Amable Beaudoin : un matin, Philippe Danjou était entré dans la maison de commerce de la rue Saint-Paul comme le maître. En effet, le négociant avait cédé sa maison de commerce à sa fille qui en devenait propriétaire, avec Philippe, son mari, comme directeur. Naturellement M. Roussel s’était réservé le droit de diriger Philippe dans les passes difficiles ; car il faut bien admettre que le jeune homme était loin d’avoir l’expérience nécessaire pour diriger de lui-même une maison d’affaires aussi importante. Il est vrai de dire qu’il avait à son service des employés d’expérience dont les avis pourraient lui être utiles. Et puis, Philippe était intelligent et très actif, et l’on pouvait compter que tout irait bien.

Faut-il ajouter qu’il possédait une femme incomparable qui, pour lui, allait être un guide et un égide puissants !