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et elle voulut décharger sur l’orpheline son ressentiment.

— Petite, dit-elle rudement et haut pour être entendue de tout le monde, hâtez-vous de finir votre repas ; vous nous retenez ici lorsque tout le monde s’empresse vers la salle de danse !

— Je n’ai plus faim, madame, et je demande qu’on me ramène chez moi !

— Oui, oui, tout à l’heure on vous reconduira. Tenez ! buvez ce vin !

— Non, madame, merci, je ne bois pas de vin.

— Ah ! petite niaise, gronda Mrs Whittle avec colère, vous devenez insupportable !

Puis, rageuse, elle s’écria en regardant Hampton :

— Hé ! lieutenant, n’êtes-vous pas assez galant pour amuser cet enfant ?

Elle se leva brusquement en faisant entendre un ricanement moqueur, prit le bras de son mari qu’elle secoua et ajouta sur un ton sec :

— Venez, Sam, cette petite folle nous fera manquer la première danse !

Thérèse rougit violemment, et à nouveau ses yeux croisèrent ceux de l’inconnu qui, lentement, buvait un verre de cidre.

Au moment où Mrs Whittle et son mari quittaient le réfectoire, Hampton demanda à l’orpheline qui se levait :

— Dansez-vous, mademoiselle ?

— Non, répondit sèchement Thérèse, je veux maintenant m’en aller coûte que coûte.

Mrs Loredane intervint doucereusement :

— Peut-être, minauda-t-elle, que mademoiselle aimerait mieux se voir seule un moment pour se reposer ? Je vais vous conduire dans un petit salon, dear Theresa, venez !

— Madame, je veux m’en aller, prononça la jeune fille sur un ton résolu.

— Oui, oui, chère enfant, sourit Mrs Loredane, le lieutenant vous conduira chez vous tout à l’heure, quand j’aurai fait atteler à mon cabriolet que je lui prêterai.

— Bien sûr, madame ? demanda Thérèse avec doute.

— Je vous le jure, venez.

La tenancière fit un signe d’intelligence à Hampton qui s’en alla vers la salle de danse, et elle entraîna l’orpheline dans une petite pièce voisine de la grande salle commune.

Toutes ces petites scènes n’avaient pas échappé à l’inconnu. Quand il vit tout le monde parti, il quitta sa table, se dirigea vers la salle commune qui était tout à fait déserte et s’assit tranquillement devant le feu d’une haute cheminée.


X


La pièce où avait été conduite Thérèse était un petit salon meublé dans l’art français et décoré de tapisseries persanes. Mrs Loredane fit apporter des vins doux par une servante, mais l’orpheline s’obstina à n’en pas boire, pour la bonne raison qu’elle se rappelait trop encore l’effet dangereux que le vin avait produit sur son cerveau chez Mrs Whittle. Alors Mrs Loredane essaya, par tous les moyens et avec toute l’expérience qu’elle pensait avoir, de persuader la jeune fille qu’elle devait se mêler au monde en lequel on l’emmenait s’amuser. Thérèse demeurait froide et ne cessait de répéter :

— Madame faites-moi conduire chez moi !

Mrs Loredane s’impatienta. Puis elle eut l’idée de confier l’éducation de la jeune fille à l’une de ses servantes, une certaine Maggy, irlandaise d’origine, fille délurée, hardie, et sur le chemin de l’égout. Et peut-être allait-elle avoir recours aux suggestions de cette fille, lorsque Hampton entra.

Le lieutenant avait à ses lèvres un sourire mauvais, ses yeux étaient pleins d’éclairs malsains, et ses jambes n’avaient pas l’air très solides. Mrs Loredane comprit que le jeune homme, pour se donner du nerf et du cœur, avait bu.

Mais Thérèse ne vit rien de tout cela, la vue d’Hampton lui rappela la promesse qu’il avait faite, et elle s’avança vers le jeune homme, disant d’une voix suppliante :

— Monsieur, allez-vous enfin me reconduire chez moi ?

— Oui, mademoiselle, dans un instant. Nous n’avons plus qu’à attendre pour partir que Mrs Whittle nous rejoigne.

— Puisque c’est ainsi, dit Mrs Loredane, très dépitée de n’avoir pas réussi à séduire Thérèse, je vous laisse.

Et au moment où elle sortait elle lança un regard au lieutenant qui pouvait signifier :

« Tâchez de vous débrouiller tout seul, tant qu’à moi je dois avouer que j’y renonce ! »

Une fois seul avec la jeune fille, pâle et