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LA GUERRE ET L’AMOUR

Elle te l’a déjà dit, Max, elle a fait un serment et jamais elle n’y manquera. Elle a juré d’être la femme d’un autre et elle n’appartiendra jamais qu’à lui.

— L’autre est mort, parti pour le pays de ses ancêtres.

— N’importe, je vivrai avec son souvenir. Va-t’en, Max, et ne viens plus m’importuner. Je t’ai aimé naguère comme un bon frère, maintenant et désormais je t’exècre et te méprise comme une vipère qu’on écrase du pied. Va-t’en et ne reviens plus jamais, sinon il t’arrivera malheur.

Louise venait de se souvenir qu’avec ces enfants des bois il est quelquefois bon d’user d’un langage ferme et menaçant. Elle ne se trompait pas. Son attitude résolue et défiante impressionna l’Indien. Il pencha la tête et demeura un moment pensif. Puis, sans mot dire, il tourna sur lui-même, jeta son fusil sur son épaule et marcha vers les bois et y disparut, toujours sans bruit, comme une ombre qui s’efface,

Louise exhala un long soupir d’allègement. Puis, comme saisie de peur après coup, elle s’assit lourdement sur un escabeau et resta longtemps songeuse et triste.

♦     ♦

Louise ne crut pas utile d’instruire ses parents de la venue de Max, croyant que le jeune Indien, cette fois, se le tenant pour dit, disparaîtrait pour à jamais de sa vie. D’ailleurs, les jours qui suivirent furent sans incident, et la même existence sereine continua à la Cédrière.

Une fois encore, Louise, finit par oublier Max, et se remit à vivre avec le souvenir d’Olivier et aussi celui de Carrington, de qui on n’avait plus eu de nouvelles.

Vers le milieu de juin, une rumeur circula dans l’île Saint-Jean qu’une nombreuse flotte anglaise faisait le siège de Louisbourg. La rumeur ajoutait que les Anglais, une fois la forteresse retombée en leur pouvoir, méditaient de remonter jusqu’à Québec pour se rendre maîtres du Canada et de toute la Nouvelle-France. Dans cette entreprise les marins et soldats de la flotte seraient appuyés sur terre par de redoutables armées, équipées par les colonies de la Nouvelle-Angleterre et de la Virginie, qui s’avanceraient par le lac Ontario et par le lac Champlain en même temps, pour se réunir à Montréal et, de là, marcher sur Québec et se joindre à la flotte, si bien que, dans un avenir tout proche, toute l’Amérique septentrionale deviendrait possession anglaise et que la race française, qui en occupait la plus grande partie, en serait à jamais expulsée ou y serait exterminée jusqu’au dernier homme.

Cette rumeur jetait dans la consternation les habitants de l’Île Saint-Jean, d’autant plus que toute fuite apparaissait dorénavant comme impossible.

À la Cédrière, où les mêmes nouvelles étaient parvenues, on n’en continua pas moins à vivre tranquillement, sans inquiétude, sans alarme. Non seulement on se fiait à la protection promise par le major Carrington, mais encore à certaines paroles que le marchand de chevaux, venu de la Nouvelle-Angleterre, avait dites au capitaine Dumont. On se rappelle que Guillaume avait fait des instances auprès du capitaine pour le décider à faire l’acquisition d’une paire de chevaux. On avait donc visité les chevaux à vendre et causé avec le commerçant, et le capitaine avait laissé tomber son choix sur deux belles bêtes baies. Le marchand, brave homme, voulut s’enquérir du nom de son acheteur. Aussi, manifesta-t-il une grande surprise en entendant le nom de l’ancien pêcheur.

— Par mon âme ! s’écria-t-il, Mais comment, le capitaine Dumont… Mais je vous connais.

Et comme le capitaine écarquillait les yeux et restait tout béat de surprise :

— Eh oui, poursuivit le marchant en serrant la main du vieux marin, qu’il avait prise et secouait comme il eût fait de la main d’un vieux camarade. Eh oui ! Eh oui ! répétait-il, la face toute rouge et réjouie. Figurez-vous, capitaine, que l’excellent major Carrington m’a parlé de vous… oui de vous, de votre femme et surtout de votre fille… ah ! avec quelle chaleur, et en quels termes d’admiration… Si vous l’aviez entendu…

On peut imaginer sans peine le plaisir du capitaine en entendant ces paroles et en subissant la formidable mais amicale poignée de main du marchand de chevaux. C’était à n’en pas croire ses oreilles. Il exulta. Vraiment ce major américain s’était montré sincère dans ses démonstrations de sympathie, il n’oubliait pas ceux qui l’avaient si bien accueilli. Puis, quand vint le moment pour le capitaine de reprendre le chemin de son domaine, le commerçant l’attira à lui et, lui tapant familièrement sur l’épaule, lui confia tout près de l’oreille :

— Ah ! capitaine, du moment que ce bon major Carrington est de vos amis, vous pouvez être bien tranquille, car je le connais. Je ne vous dirai qu’une chose : c’est un ami véritable, on n’en saurait rencontrer de meilleur ni de plus sûr.

Le capitaine s’en alla tout ravi et ne manqua point de rapporter l’incident à sa femme et à sa fille.